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Un modèle remis en question

L’être humain est-il foncièrement monogame?

durée 09h00
14 février 2025
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Par La Presse Canadienne

Le brave Cupidon nous ramène chaque 14 février au cliché romantique monogame, exclusivité, âme soeur et consorts inclus. Mais sur quelles bases se fonde-t-il? Ce modèle est de plus en plus étudié, et de plus en plus remis en question. Anthropologues, sexologues et historiens se penchent sur son éventuelle validité, qui reviendrait presque à déterminer le sexe des anges (oui, on parle de toi, Cupidon). Et comme pour toutes les questions complexes, il n’y a pas une seule bonne réponse.

Avant toute chose, mettons les coeurs sur les «i». Quand on parle de monogamie, il faut préciser que l’on en répertorie trois types. Il y a d’abord la monogamie dite sociale, où un couple élève ses enfants ensemble, mais s’autorise à avoir plusieurs partenaires sexuels. On compte aussi la monogamie sérielle, qui domine nos pratiques aujourd’hui: à savoir enchaîner les relations avec un seul partenaire et lui être fidèle pendant le temps de la relation. Et enfin, il y a celle qui a fait la fortune de Disney et a bercé notre enfance: la monogamie pure et dure, qui implique d’avoir un seul partenaire durant toute sa vie.

De l’autre bord, il y a la polygamie. Le type de polygamie le plus répandu chez l’être humain est la polygynie, c'est-à-dire qu’un homme a plusieurs femmes. L’inverse, la polyandrie, se fait rare dans l’histoire des civilisations humaines.

Mononormativité

La civilisation occidentale, pour sa part, a depuis longtemps érigé la monogamie comme la norme, un objectif à atteindre et un idéal. Pourtant, certains psychologues évolutionnistes estiment que l’Homme, à l’image de la plupart des animaux, aurait été polygame à l’origine. Les psychologues évolutionnistes David P. Barash et Judith Eve Lipton soutiennent, dans leur livre «The Myth of Monogamy», que l'humain est la seule espèce fonctionnant par paires à avoir un sérieux penchant pour l'adultère et que, même chez les animaux réputés pour leur fidélité, les petits à côté sont légion. Ils en concluent que l’humain est, comme bien des animaux, pas véritablement monogame, mais seulement «plutôt monogame».

C’est à peu près ce que soutient aussi Antonius Rachad, professeur titulaire retraité du département de sociologie de l'UQAM, qui note que la réponse dépend de comment on définit la polygamie. «Si on définit la polygamie comme le fait d'avoir des relations sexuelles avec plusieurs personnes, c'est une chose, mais si on définit la polygamie comme le fait d’avoir un contrat de mariage avec plusieurs personnes, c'en est une autre», analyse ce spécialiste des sociétés arabes contemporaines. Il en déduit que, si on définit la monogamie, non pas d'un point de vue légal, mais d’un point de vue sociologique, alors les sociétés occidentales sont polygames.

Notre nature serait donc plutôt polygame? Encore faut-il savoir ce qu’on veut dire par nature humaine, fait remarquer Carl Rodrigue. Le docteur en sexologie et professeur au département d’études sur la sexualité, le mariage et la famille à l'Université Saint Jerôme de Waterloo, pointe que ce n’est pas si simple. À plus forte raison lorsqu'il s’agit des relations humaines. «Souvent, les gens vont apporter cette conception que ce qui est naturel, c’est ce qui se passe en moyenne, donc la normalité statistique, indique-t-il. Mais quand on regarde bien, il y a toutes sortes de variations associées à ce qu’on pourrait appeler des stratégies d’unions sexuelles et amoureuses.»

Il ajoute que ces stratégies cohabitent au sein de notre espèce et cohabitent même dans chaque individu. Ce que le docteur en sexologie explique, c’est que plusieurs individus vont connaître différentes configurations relationnelles - sexuelles et amoureuses - dans leurs vies. Un même individu peut connaître des périodes de célibat sexuellement actif ou inactif, de couple monogame en série ou encore de non-monogamie consensuelle (couple ouvert, échangisme, polyamour, etc.), au gré des différentes phases de sa vie.

La nature et la culture

Dans ce cas, pourquoi le modèle monogame s’est-il imposé en occident, alors la polygamie est restée ailleurs? La réponse ne dépasse malheureusement pas le stade des hypothèses multiples. Il faut dire que les anthropologues n’étaient pas là pour observer les interactions des premiers humains. Plus sérieusement, le professeur Rodrigue explique que, dans les sociétés patriarcales, la monogamie aurait servi de stratégie pour assurer que la descendance et la transmission du patrimoine familial s'effectuent selon la lignée du père.

Il évoque aussi des travaux en psychologie évolutionniste sur le «pair bonding», selon lesquels la mise en couple favoriserait la survie et l'investissement des parents dans leurs progénitures. Ces travaux reposent sur la prémisse selon laquelle ce lien est fondé sur la monogamie. Pourtant, ces idées sont mises au défi par des faits historiques et culturels au sujet de sociétés qui cautionnent le fait d'avoir plusieurs partenaires ou qui élèvent les enfants de façon communautaire.

Le professeur Rachad évoque de son côté la pratique de la polygamie dans les sociétés musulmanes comme une prolongation de ce qui existait déjà. Le sociologue indique que, dans l'«écrasante majorité» des sociétés tribales, les rapports sociaux étaient polygames et patriarcaux. «L'islam n'a fait que sacraliser des rapports tribaux qui étaient dominants et y a ajouté des restrictions.» Il cite d’ailleurs l’une d’elles, qui rend la polygamie telle qu’elle est décrite par le Coran particulièrement difficile: à savoir qu’un homme peut avoir jusqu’à quatre femmes, mais doit les traiter toutes de façon égale. «Le Coran a ajouté ‘vous n’arriverez jamais à le faire’!» lâche-t-il dans un rire.

Les institutions jouent un rôle important dans nos tendances relationnelles. Nous sommes des mammifères, mais également des créatures culturelles. C’est-à-dire que notre histoire, notre société, notre religion, notre éducation, bref, tout ce qui fait notre environnement, nous l’intégrons inconsciemment dans notre construction intellectuelle et notre processus décisionnel. Milaine Alarie, chercheuse à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), évoque une «pression culturelle», qui va avoir une grande influence dans les préférences des gens.

De toutes ces raisons possibles, aucune ne fait entrer l’amour en ligne de compte. Voilà qui ferait rager un certain angelot. Carl Rodrigue mentionne que la conception de la monogamie fondée sur l'amour romantique est plutôt récente sur le plan historique. Celle-ci suppose que l'amour implique nécessairement un besoin de fusion et d'exclusivité sexuelle et amoureuse. Mais elle est de plus en plus remise en question au sein de la population et dans le domaine de la recherche.

La grande spécialiste de la sexualité à l’UQAM, la professeure Chiara Piazzesi, abonde en ce sens. L’exclusivité donne un sentiment d’exceptionnalité. Pourtant, les couples polyamoureux peuvent éprouver exactement la même sensation. «La non-monogamie consensuelle, le fait de ne pas être exclusif, est-ce que ça affaiblit l'engagement qu'on a envers les autres? Absolument pas. On n'a aucune donnée pour dire ça», insiste la sociologue. Cela tend donc à prouver que notre quête d’exceptionnalité, d’intensité affective, n'est pas nécessairement conditionnelle à une relation monogame.

De tout ça, Carl Rodrigue retire que, pour répondre à la question de savoir si l’être humain est fait pour la monogamie ou la polygamie, il faut simplement reconnaître que toutes les variations possibles existent, cohabitent, fonctionnent chacune à leur manière et dans leur contexte, mais sont en tension les unes avec les autres. Quelle que soit sa configuration relationnelle, ce n’est ni naturel ni culturel, c’est les deux.

Mme Alarie conclut: «Ça dépend vraiment des gens. Je pense que c'est ça le message le plus important. C'est qu'il y a vraiment une diversité des expériences, des besoins, des envies. C’est donc important d'être à l'écoute de soi-même et d'être capable aussi d'en parler avec les personnes qu'on aime, pour être capable de trouver l'arrangement qui convient le mieux à tout le monde.»

Caroline Chatelard, La Presse Canadienne

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