Tragédie dans une garderie à Sainte-Rose
Un 2e psychiatre confirme la non-responsabilité criminelle de Pierre Ny St-Amand

Par La Presse Canadienne
Pourquoi Pierre Ny St-Amand, apparemment aux prises avec un épisode psychotique le 8 février 2023, a-t-il propulsé son autobus dans la façade d’une garderie de Laval, tuant deux enfants et en blessant six autres? «On ne peut pas répondre avec certitude à cette question», a reconnu à la barre des témoins, mardi, le docteur Sylvain Faucher, deuxième psychiatre venu confirmer l’évaluation de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux du chauffeur d’autobus.
«Oui il y a un trouble mental au sens psychiatrique du terme», a-t-il certifié, même si son diagnostic diffère sur certaines nuances de celui de sa collègue Kim Bédard-Charette, venue témoigner la veille.
«Toute l’évolution par la suite correspond à un trouble psychotique bref», a expliqué le psychiatre en s’attardant sur l’ensemble des comportements erratiques et hautement variables de Pierre Ny St-Amand dans les jours suivant son arrestation.
Tout comme sa prédécesseure, le docteur Faucher avait conclu après analyse du cas que l’accusé, installé au Canada vers l’âge de 10 ans après une enfance excessivement traumatisante au Cambodge, avait développé une forte rigidité personnelle et professionnelle autour de sa personne. Cette rigidité lui avait permis de «maintenir un couvercle sur un chaudron sous pression pendant de longues années, (mais que) ses mécanismes adaptatifs auraient "lâché" sous forme de petites fuites d’abord dans les jours et les heures avant le drame, pour céder subitement, comme un barrage dont les fondements ont lentement été altérés et dont le responsable n’a pas constaté les dommages par ignorance».
Presque nu
Un des éléments-clés qui lui ont permis de conclure qu’il était en psychose est le fait qu’il se soit mis presque nu avant de sortir de l’autobus, une fois celui-ci encastré dans la garderie, plutôt qu’après être sorti et avoir constaté la tragédie dont il était l’auteur.
Plusieurs parents présents dans la salle du palais de justice de Laval ont fortement réagi à certains éléments du témoignage du docteur Faucher, notamment lorsqu’il a cherché à justifier le diagnostic de psychose préalable à la tragédie en s’appuyant en grande partie sur cette question du moment où l’accusé s’est dénudé, certains allant jusqu’à quitter la salle.
Tout au long de sa vie, a raconté le psychiatre, Pierre Ny St-Amand a fui des situations où le stress était important, cessant de jouer au hockey à l’adolescence lorsque le niveau de compétition était devenu trop élevé ou encore quittant un emploi d’informaticien lorsque ses responsabilités étaient venues à lui peser.
Aucun lien affectif
Aussi, l’accusé n’avait aucun confident, même son épouse, avec qui il s’était lié dans le but de fonder une famille, mais avec laquelle il n’entretenait pas de lien affectif. Il n'avait d'ailleurs tissé aucun lien affectif avec sa famille adoptive, à Sept-Îles, à qui on l'avait confié comme enfant réfugié.
Sa stratégie était systématiquement, selon le docteur Faucher, de se tourner vers l’action. «Il évite de penser, de sentir, de se représenter son passé d’enfant, de réfléchir, en fait tout pour éviter le malaise. Il ne ventile pas, ni ses émotions, ni son stress.»
Certains parents ont ensuite rencontré les journalistes durant la pause du midi pour faire part de leur désarroi face à la tournure des événements. Annie Carrière, dont le conjoint Mike Haddad a été un de ceux qui ont maîtrisé Pierre Ny St-Amand lorsqu’il est sorti de l’autobus, a dénoncé le manque de soutien offert à l’enfant de celui-ci qui avait été témoin des événements. «Encore aujourd'hui, c'est difficile d'avoir accès à un psychologue ou un psychiatre sauf si on a commis l'irréparable. On a tous les soins, tous les services dans ce cas-là», a-t-elle laissé tomber avec amertume.
«Lui (l'accusé), présentement, il est entouré de soins, il a de la médication, il y a de l'ajustement de médication. Les professionnels sont disponibles, sont devant lui. Pour les parents, pour surtout les frères et soeurs des victimes, eux doivent aller se battre pour avoir un nombre de séances. Pour eux, c'est limité. Est-ce que l'accusé, lui, va être limité? Non. Lui, toute sa vie, son nom va être étiqueté, toute sa vie un médecin va l'écouter, un psychologue va l'écouter, va le prendre comme une victime, parce qu'aujourd'hui, ce que j'entends, c'est que c'est une victime, qu’il a vécu beaucoup de choses qui le victimisent.»
À ses côtés, Mélanie Goulet, dont la fille avait été emprisonnée sous le lourd véhicule avant d’être secourue, abondait dans le même sens. «C'est un réfugié qui a vécu beaucoup de traumatismes en étant très jeune, ce qui est exactement ce qu'il a fait vivre à nos enfants. Nos enfants avaient 5 ans au moment de la tragédie. Qu'est-ce qui va se passer dans leur cerveaux? Quelles traces ça va laisser dans un cerveau en développement? Qu'est-ce qui va arriver dans cinq ans, dix ans quinze ans, qui va prendre soin d’eux? Lui, il a des soins garantis à vie. Ça fait deux ans que 100 % de sa vie est dédiée à son rétablissement, que tout le monde prend soin de lui. Il a des soins tout le temps. Et nous, nos enfants, les familles qui souffrent actuellement, c'est quoi l’aide qu'ils reçoivent? On dirait que c'est inversé.»
Décision à venir
Les avocats doivent présenter leurs plaidoiries, ce qui devrait se résoudre assez rapidement puisque la défense et la Couronne sont d’accord sur le fait de le faire déclarer non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux.
La décision finale reviendra toutefois au juge Éric Downs, qui a déjà indiqué qu’il prendra sa décision en délibéré.
Pierre Ny St-Amand fait face à deux accusations de meurtre non prémédité ainsi qu'à des accusations de voies de fait avec lésions et de voies de fait armées impliquant, en tout, six enfants.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne
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