Une hausse des cas d'hépatopathie chez les jeunes inquiète les spécialistes
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — On constate une hausse alarmante des cas d'hépatopathies alcooliques chez les jeunes, prévient une nouvelle étude.
L'hépatopathie alcoolique est une maladie du foie grave et potentiellement mortelle qui a longtemps été associée aux hommes qui consomment des quantités excessives d'alcool depuis plusieurs années.
Mais pour des raisons qui demeurent encore en bonne partie mystérieuses, une vaste portion des nouveaux diagnostics touchent aujourd'hui des jeunes femmes.
«Si on regarde les chiffres, du moins dans notre étude, les taux sont restés relativement stables jusqu'en 2011 ou 2012, a dit l'auteure de l'étude, la docteure Jennifer Flemming de l'Université Queen's. Mais après ça, ça commence à grimper et ça coïncidait avec ce qu'on voyait sur le terrain.»
Contrairement à l'hépatite virale, qui est causée par des infections comme l'hépatite B et C, l'hépatopathie alcoolique se produit lorsque le foie s'enflamme en lien avec une consommation prolongée et excessive d'alcool. Dans les deux cas, le problème peut évoluer vers une maladie encore plus grave, comme une cirrhose du foie ou une défaillance hépatique.
La docteure Flemming et son équipe ont étudié les dossiers de quelque 3300 jeunes âgés de 13 à 39 ans qui ont reçu un diagnostic d'hépatopathie alcoolique entre 2001 et 2022 après avoir été admis à l'hôpital ou l'urgence en Ontario.
Les chercheurs ont mesuré une hausse de 8 % du nombre de cas par année chez les hommes et de 11 % chez les femmes.
Six mois après le diagnostic, 71 % des patients étaient en vie et ne présentaient pas de cirrhose. Cependant, au cours des quatre années suivantes, 22 % d'entre eux ont connu une progression de la maladie, y compris une cirrhose ou une aggravation de la fonction hépatique. Les femmes ont été touchées de manière disproportionnée, puisque 37 % des survivantes ont développé des complications graves, contre 29 % des hommes.
Sur un suivi de dix ans, 11 % des femmes sont mortes de complications hépatiques, contre un peu moins de 7 % pour les femmes. Les femmes étaient aussi environ 50 % plus susceptibles que les hommes de développer une cirrhose du foie.
«Et ce n'est pas seulement au Canada, a dit la docteure Flemming. On voit la même chose aux États-Unis et au Royaume-Uni, par exemple.»
Plusieurs facteurs peuvent potentiellement expliquer cette tendance inquiétante.
Les chercheurs mentionnent tout d'abord le stress, l'isolement et les dérangements engendrés par la COVID-19, ce qui pourrait avoir amplifié la consommation d'alcool.
Ils évoquent aussi des différences biologiques entre les hommes et les femmes, puisqu'il est bien établi que les deux sexes métabolisent l'alcool différemment. Ainsi, le risque de problèmes est plus élevé pour les femmes que pour les hommes, pour une quantité identique d'alcool consommée.
«C'est multifactoriel, a dit la docteure Flemming. On peut mentionner par exemple la taille corporelle et la masse corporelle et la teneur en eau de l'organisme. De plus, à la base, les femmes ont environ 30 % moins d'une enzyme qui dégrade l'alcool. Et on sait que le foie réagit à l'œstrogène, donc il y a peut-être aussi quelque chose de ce côté-là.»
Il y a cinquante ans, a rappelé la docteure Flemming, les hommes consommaient beaucoup plus d'alcool que les femmes. L'écart s'est depuis rétréci, et les femmes en consomment aujourd'hui autant que les hommes, a-t-elle ajouté.
«Et des études ont montré que le marketing de l'alcool est plus spécifique aux femmes», a dit la docteure Flemming.
Les chercheurs pointent enfin du doigt la popularité croissante des boissons alcooliques très sucrées comme le cidre, qui peuvent être nuisibles au foie, et le fait que l'alcool est disponible dans un nombre croissant de commerces.
Il convient de noter que plus de 50 % des membres de cette cohorte avaient déjà consulté pour des problèmes de santé mentale; qu'environ un tiers d'entre eux avaient présenté un problème de toxicomanie au cours des deux années précédant l'apparition de l'hépatopathie alcoolique; et que plus de deux tiers d'entre eux avaient eu des consultations médicales liées à l'alcool qui n'étaient pas liées à l'hépatopathie alcoolique au cours des deux années précédant l'apparition de l'hépatopathie alcoolique, soulignent les chercheurs dans leur étude.
«Cela suggère qu'il y a probablement des occasions qui ont été manquées d'identifier les personnes souffrant de troubles liés à la consommation d'alcool et de consommation nocive d'alcool avant qu'elles n'évoluent vers l'alcoolisme», ajoutent-ils dans les pages du prestigieux Journal of the American Medical Association.
En bout de compte, a dit la docteure Flemming, il faut reconnaître qu'il s'agit d'un problème qu'on doit identifier et soigner.
«Si je vous disais que 25 % des jeunes de 13 à 39 ans meurent dans les cinq ans après leur diagnostic de cancer, les gens seraient outrés et demanderaient qu'on règle le problème, a-t-elle conclu. Mais parce qu'on parle de consommation d'alcool, on dit que c'est la faute (du patient) même si on peut renverser les dommages causés par l'alcool si on identifie et on traite le problème. Mais les gens ne veulent pas en parler et ils blâment l'individu.»
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne