Protection de l'enfance des Premières Nations: Ottawa ne sait pas avec qui négocier
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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — La ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, affirme qu’avant que des progrès puissent être réalisés, Ottawa a besoin de l’Assemblée des Premières Nations (APN) et d’un comité extraordinaire pour décider qui dirigera les pourparlers dans la renégociation d'un accord sur la protection de l’enfance.
«Il y a eu une confusion concernant le rôle du Comité national des chefs des enfants et la question de savoir si vous et le comité êtes l’organisme avec lequel le Canada devrait travailler», indique une lettre du 25 février de Mme Hajdu au président de la Commission nationale des chefs pour les enfants (CNCE).
«J’encouragerais la Commission nationale des chefs pour les enfants à travailler directement avec les représentants de l’Assemblée des Premières Nations (…) pour clarifier cette situation.»
Après avoir pris connaissance de la lettre du ministre, l’APN a déclaré qu’elle avait «constamment fait comprendre» au gouvernement fédéral qu’elle devait négocier avec la CNCE.
Les chefs de deux assemblées de l'APN, en octobre et décembre derniers, ont voté contre un accord de 47,8 milliards $ qui leur aurait donné le contrôle du système de protection de l'enfance dans les réserves après que le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) a jugé que le Canada avait fait preuve de discrimination envers les enfants des Premières Nations en sous-finançant les services.
Ils ont également voté pour la création d'un nouvel organisme chargé de négocier la réforme de la protection de l'enfance avec le Canada, affirmant que l'APN ne travaillait pas dans leur intérêt.
La cheffe Pauline Frost de la Première Nation Vuntut Gwitchin, présidente de la CNCE nouvellement formée, a déclaré que la commission avait été bloquée par Ottawa.
Elle a envoyé une lettre à la ministre Hajdu, au premier ministre Justin Trudeau et au ministre des Relations Couronne-Autochtones Gary Anandasangaree à la fin de janvier pour leur demander de revenir à la table des négociations. Elle n'a reçu aucune réponse.
«Ils ont l'obligation de travailler avec chacune de nos régions. C'était l'objectif même des conclusions du Tribunal des droits de la personne, a rappelé Mme Frost la semaine dernière. La commission est convaincue qu’un accord – qui répond aux besoins des familles et des enfants des Premières Nations – est tout à fait possible.»
Plus d’un mois après la lettre initiale de la cheffe Frost, Mme Hajdu a répondu en suggérant que l’APN n’avait pas précisé qui dirigeait réellement les pourparlers.
Des pourparlers embourbés
Depuis que l’accord national a été rejeté, l’APN a demandé des examens juridiques des résolutions adoptées par les chefs décrivant le nouveau processus et les nouvelles équipes de négociation. Certains ont accusé l’APN d’utiliser les examens juridiques pour garder le contrôle des négociations sur la protection de l’enfance.
Les pourparlers avec le Canada sont embourbés dans la controverse depuis l’année dernière, lorsqu’une poignée de chefs régionaux ont accusé la cheffe nationale de l’APN, Woodhouse Nepinak, d’avoir gardé secrètes les négociations de l’APN avec le Canada sur la protection de l’enfance – une affirmation qu’elle a niée à plusieurs reprises.
Ces accusations ont de nouveau atteint leur paroxysme en janvier après que les chefs ont rejeté l’accord national et qu’Ottawa a annoncé à l’APN qu’il négocierait un nouvel accord avec l’Ontario, mais pas au niveau national.
À la suite de la déclaration du gouvernement fédéral, Woodhouse Nepinak a envoyé une lettre à la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations — qui a contribué à lancer la plainte initiale pour atteinte aux droits de la personne — lui demandant comment elle comptait obtenir des éléments de l’accord national rejetés par les chefs, dans le cadre d’élections fédérales qui auront probablement lieu dans un avenir proche.
La société de soutien n’est pas responsable des négociations, mais sa directrice générale, Cindy Blackstock, a souligné ce qu’elle a vu venir des lacunes dans l’accord.
Six chefs régionaux ont ensuite envoyé une lettre à Woodhouse Nepinak pour remettre en question son indépendance.
«Vos commentaires et le fait que cette lettre coïncide avec la correspondance de Justice Canada remettent en question l’indépendance requise du chef national par rapport au Parti libéral et au gouvernement du Canada, au sens large», ont-ils écrit le 15 janvier.
Ils ont déclaré que la Commission nationale des chefs des enfants était «entravée par le refus du Canada de s’engager à l’échelle nationale et par le manque d’alignement entre l’APN et les résolutions des chefs en assemblée».
Woodhouse Nepinak a été critiquée pour ses liens avec le Parti libéral depuis son élection en 2023. Elle a assuré que sa principale priorité était de défendre les intérêts des Premières Nations.
Dans une déclaration publiée jeudi, l'APN a affirmé que «le chef national travaille avec tous les partis politiques pour faire avancer les intérêts des enfants et des familles des Premières Nations, comme cela a toujours été le cas».
«Nous réitérons notre appel pour que le Canada revienne à la table des négociations en vue de conclure une nouvelle entente avec la Commission nationale des Chefs pour les enfants (CNCE), conformément au mandat conféré par les Premières Nations-en-assemblée, a déclaré la porte-parole de l'APN, Genna Benson, dans un communiqué de presse. L’APN continuera d’appuyer la CNCE et toutes les régions dans le cadre des efforts qu’elles déploient pour conclure une entente sur la réforme à long terme, au niveau national ou régional, qui mette fin à la discrimination une fois pour toutes.».
Alessia Passafiume, La Presse Canadienne