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Poilievre donne une «entrevue» à une figure de proue du mouvement pro-armes

durée 19h21
13 janvier 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

OTTAWA — Le chef conservateur Pierre Poilievre a profité de son passage au Saguenay-Lac-Saint-Jean, cette fin de semaine, pour courtiser les militants pro-armes québécois en accordant une «entrevue» à une figure de proue de leur mouvement.

«Je pense que j'ai brisé toutes les règles de vitesse. (...) La Sûreté du Québec ne m'a pas attrapé», s'amuse d'entrée de jeu M. Poilievre, un farouche défenseur de la loi et de l'ordre, en marge d'une excursion en motoneige.

Le militant pro-armes Guy Morin, qui s'apprête à débuter ce qu'il qualifie lui-même de «p'tite entrevue», le rassure immédiatement. «T'as un passe-droit. T'as le droit de faire ben des affaires parce que tu es bien entouré présentement», envoie-t-il.

Dans l'extrait d'environ cinq minutes partagé notamment sur les réseaux sociaux de M. Morin et sur la page Facebook du collectif «Tous contre un registre des armes à feu» qu'il préside, le chef Poilievre répète sa promesse de «protéger les chasseurs et les tireurs sportifs en abrogeant C-21».

La loi C-21 a pour objectif de protéger les victimes de violence conjugale. Elle inclut une définition des armes d’assaut qui vise à empêcher les fabricants de contourner l’interdiction de ces armes. La législation prévoit aussi des mesures qui renforceraient le gel (des restrictions) aux armes de poing.

M. Poilievre dit aussi qu'il s'attaquera à «toute la stupidité» des lois qu'il attribue au «Bloc-Libéral». Le Bloc – qui a décliné une invitation à réagir au contenu de la vidéo – «bloque les choses pour le Québec», affirme le chef conservateur au passage.

«Tu sais que, moi, je suis un propriétaire d'armes à feu, poursuit Guy Morin dans l'entretien filmé. Il y a ben des gens (qui) ont confiance. On veut qu'il se passe quelque chose.»

M. Morin, qui est de facto le principal porte-parole du lobby des armes au Québec, lui rappelle que «le gel, on n'accepte pas ça, nous autres».

«C'est stupide!», lui renvoie du tac au tac Pierre Poilievre.

Le militant insiste alors qu'il faut «absolument» abolir la loi C-21, mais également C-71, qui resserrait les vérifications lors de la vente des fusils et carabines.

«Je me suis opposé, rappelle M. Poilievre. J'ai voté contre ces lois. Je vais abroger ces lois. Je vais bannir des criminels. On va mettre des criminels en prison. On va respecter les tireurs sportifs et les chasseurs.»

M. Poilievre mentionne ensuite que 82 % des armes servant à des crimes proviennent de la contrebande ou sont trafiquées, des données qui sont issues de la police de Toronto, selon son bureau. La Presse Canadienne n'a pas été en mesure de valider cette information.

«Renforçons nos frontières au lieu de mettre les chasseurs en prison», dit-il.

Propos «mensongers» et «fallacieux»

Pour la survivante de la tuerie de l'École polytechnique de Montréal, Nathalie Provost, les propos de M. Poilievre voulant que, s'il devient premier ministre, il protégerait les chasseurs et les tireurs sportifs en éliminant C-21 et C-71 constituent tout simplement «du mensonge».

«Il n’y a pas un chasseur qui a perdu une arme de chasse au Canada. (...) Il n’y a pas un chasseur qui va aller en prison à cause de C-71. Toutes les armes de chasse sont légales. Les seules affaires qui sont détruites, c'est les armes de style d'assaut», a déclaré Mme Provost en entrevue avec La Presse Canadienne.

Elle constate que le chef conservateur reprend les arguments du lobby des armes à feu voulant qu'il ne faille pas s'attaquer aux propriétaires honnêtes lorsqu'il est question de lutter contre le crime. «À quoi ça sert à un propriétaire honnête une arme de style d’assaut», a-t-elle lancé.

Ne mâchant pas ses mots, Mme Provost l'accuse de défaire des lois qui protègent les Canadiens et de favoriser des armes très dangereuses «sous des prétextes fallacieux».

Pour la professeure de science politique à l'Université de Montréal Catherine Ouellet, il est clair que le Parti conservateur tente avec ce type de vidéo à rejoindre des électeurs pour qui l'enjeu des armes est «saillant, important personnellement».

«L'objectif, c'est de toucher des gens qui n'auraient pas nécessairement voté pour le Parti conservateur et/ou n'auraient juste pas voté, a-t-elle résumé. Des fois, c'est des gens cyniques, désabusés. On veut seulement les mobiliser. Puis, finalement, ces gens voient cette vidéo-là. Ça peut permettre un gain électoral.»

La professeure Ouellet a expliqué que «la politique de brèche», soit l'idée de chercher des enjeux plus divisifs pour faire des gains, est de plus en plus pratiquée avec la sophistication du marketing politique. «Les partis n'ont pas le choix pour gagner de prétendre rassembler tout le monde, mais au final c'est diviser pour régner», a-t-elle dit.

Mme Ouellet a noté que les messages relatifs à ces enjeux de brèche sont moussés par les «chambres d'écho» que créent les algorithmes des réseaux sociaux, soit les espèces de bulles qui font qu'on est souvent exposés à des visions conformes aux nôtres et à des gens qui pensent comme nous.

Les victoires peuvent se faire par quelques voix dans les circonscriptions qualifiées de «champs de bataille» par les partis politiques, a noté Mme Ouellet. «Donc, ce genre de tactiques là, à la fin, peut faire une grande différence sur le nombre de sièges, voire sur le gagnant, surtout dans notre système actuel».

Michel Saba, La Presse Canadienne