Nouvelle-Écosse: Gain au civil pour une femme victime de cyberharcèlement
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Par La Presse Canadienne, 2024
HALIFAX — Une Néo-Écossaise qui a obtenu des dommages-intérêts après que son ex-copain a publié une photo explicite d’elle à côté d’une fausse annonce en ligne pour du travail sexuel s’est d’abord rendue à la police pour signaler ce qu’elle a qualifié de harcèlement. C’est finalement une loi provinciale sur la cyberprotection qui a tenu son ex-copain responsable, et non les tribunaux pénaux.
Larissa Williams, de Lower Sackville, en Nouvelle-Écosse, a déclaré qu’elle avait été consternée en juillet 2022 lorsqu’elle a reçu un texto envoyé d’un numéro inconnu demandant des services sexuels. Après quelques messages confus dans les deux sens et une recherche en ligne, Mme Williams a découvert une photo d’elle où ses seins étaient nus où elle ne portait qu’une paire de petites culottes.
La photo était sur un site internet utilisé par des escortes pour faire la publicité de leurs services. La publication comprenait son nom, son numéro de téléphone et son emplacement. La photo en était une qu’elle avait partagée à son ex-copain. Elle lui avait demandé de l'effacer après leur rupture.
«C’était une image de moi, mais au début, mon cerveau était juste dans le déni. Je savais que je regardais une image de moi-même, mais j’essayais de trouver des preuves que ce n’était pas moi», a raconté Mme Williams, dans une récente entrevue.
«Au début, j’ai pensé à l’automutilation. Tout semblait tellement hors de mon contrôle. J’avais l’impression d’avoir perdu ma sécurité», a-t-elle ajouté.
Le 13 janvier, le juge Joshua Arnold de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a accordé des dommages-intérêts après avoir précédemment jugé Cory Lester responsable en vertu de la loi sur les images intimes et la cybersécurité de la Nouvelle-Écosse.
Le juge a conclu que Lester avait publié l’annonce «dans le but de harceler et d’intimider (Mme Williams) après la fin de leur relation amoureuse». Il s’agissait de l’une des premières décisions prises en vertu de la loi, qui a été remaniée en 2018 pour inclure des dispositions spécifiques sur la distribution non consensuelle d’images intimes.
Lester a été condamné à payer 45 000 $ à Mme Williams et à ne pas la contacter pendant 12 mois. Témoignant devant le tribunal, Lester a nié avoir publié la photo et l’annonce. Dans une déclaration envoyée par courriel cette semaine, il a maintenu son innocence. Il a néanmoins déclaré qu'il prévoyait de payer la somme demandée pour éviter les frais juridiques coûteux liés à un appel.
Plainte au civil plutôt qu'au criminel
Wayne MacKay, professeur émérite de droit à l'Université Dalhousie à Halifax, se demande pourquoi l'affaire a fini par être réglée par une action civile accordant des dommages et intérêts plutôt que par une poursuite pénale.
«Il semble certainement qu’il y ait beaucoup de preuves (…), je pense donc que c’est un peu surprenant, puis cela soulève des inquiétudes sur la réactivité de notre système juridique à ces questions importantes», a déclaré M. MacKay dans une entrevue.
L’affaire des images intimes n’était pas la première plainte que Mme Williams déposait contre Lester. En novembre 2021, des mois avant d’être sollicitée pour du travail du sexe, Mme Williams s’est adressée à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour obtenir de l’aide pour faire face à ce qu’elle a qualifié de harcèlement persistant et de comportement menaçant de la part de son ancien petit ami.
La décision du tribunal indique qu’il a été arrêté, libéré sous condition de ne pas avoir de contact avec elle et accusé de harcèlement criminel. Les accusations ont été retirées le mois suivant, et Lester a déposé sa propre plainte à la police. Mme Williams et Lester ont ensuite déposé des demandes d’engagement de ne pas troubler l’ordre public l’un contre l’autre, qui ont toutes deux été retirées en juin 2022, selon les documents judiciaires.
C’est un mois plus tard que Mme Williams a trouvé la photo explicite d’elle-même à côté de l’annonce, et qu'elle s’est de nouveau adressée à la police. Le 24 juillet 2022, Lester a été accusé d’avoir publié ou distribué une image intime sans consentement. Mais en avril 2023, la Couronne a suspendu l'accusation. Un porte-parole du Service des poursuites publiques de la Nouvelle-Écosse a déclaré sans fournir de détails que les procureurs «ont déterminé qu'il n'y avait aucune perspective réaliste de condamnation».
La charge de la preuve est plus stricte dans une affaire criminelle, obligeant les procureurs à prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé est coupable. Dans une affaire civile comme celle de Mme Williams, le juge doit être convaincu par prépondérance de preuve que le défendeur était responsable du méfait.
Mme Williams a rapporté que son expérience avec la police l'avait laissée désespérée et seule. Elle a finalement pris contact avec PATH Legal, un cabinet d'avocats à but non lucratif d'Halifax, qui a travaillé avec elle pour intenter une action civile contre Lester.
Marquée à vie
Dans un affidavit déposé au tribunal, elle a déclaré que la violation de sa vie privée l'avait empêchée de faire confiance à qui que ce soit.
«Je m’inquiète de l’impact que cela aura sur ma réputation dans la communauté, de savoir qui a vu mon image intime, que quelqu’un que je connais pourrait l’avoir vue, que le harcèlement et les attaques en ligne continueront et que je serai stigmatisée en tant que travailleuse du sexe dans ma communauté, a-t-elle expliqué. Je m’inquiète également de l’impact que cela pourrait avoir sur moi lorsque je retournerai au travail.»
Mme Williams réclamait des dommages et intérêts totaux de 155 000 $ et, bien qu’elle soit soulagée d’avoir gagné son procès, elle trouve que le montant accordé est trop bas. «Je ne me soucie pas de l’argent (…), mais cela ne crée pas un précédent solide», a-t-elle affirmé.
M. MacKay a convenu que les 45 000 $ accordés par le tribunal ne sont pas suffisants pour être une mesure dissuasive efficace. «Lorsque vous examinez les faits de l’affaire et l’ampleur de cette atteinte grave à la vie privée, il ne semble pas que cela reflète vraiment les dommages causés», a-t-il soutenu.
Il a affirmé que les comportements abusifs envers les femmes existent sous de nombreuses formes, «qu’il s’agisse de partage d’images intimes, de violence familiale, de harcèlement sexuel ou d’agression, ils font tous partie de ce continuum. C’est une raison de plus pour que nous envoyions des messages clairs dans nos affaires judiciaires, pour dire que ce n’est pas acceptable».
Leah Parsons, dont la fille Rehteah s’est enlevé la vie après la diffusion d’une photo de ce que sa famille considère comme une agression sexuelle, a déclaré que la police et le système judiciaire «doivent sévir plus durement» et mieux soutenir les victimes qui portent plainte. C’est le décès de sa fille en 2013 qui a inspiré la première loi contre la cyberintimidation en Nouvelle-Écosse.
Mme Parsons est d'avis que les dommages-intérêts accordés à Mme Williams sont trop faibles. «Ce n’est tout simplement pas suffisant. Son image était là, son numéro de téléphone et son emplacement étaient là. Maintenant, elle doit craindre pour sa sécurité.»
Lyndsay Armstrong, La Presse Canadienne