Les pêcheurs d'anguilles autochtones de Nouvelle-Écosse rejettent les règles d'Ottawa


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Par La Presse Canadienne, 2024
HALIFAX — Deux pêcheurs commerciaux pêchant des anguilles en vertu des nouvelles règles fédérales ont déclaré avoir dû cesser de pêcher dimanche soir, lorsqu'un important groupe de pêcheurs autochtones est arrivé sur la rivière et a installé ses filets.
Suzy Edwards, une employée d'Atlantic Elver Fishery, a raconté que l'un des pêcheurs lui avait dit être de la Première Nation Sipekne'katik et qu'ils exprimaient ainsi leur désaccord avec le système récemment imposé par Ottawa, qui répartit les quotas pour ces prises lucratives.
«En gros, nous disons que nous ne pouvons pas pêcher, a expliqué Mme Edwards lors d'une entrevue dimanche soir après l'incident. Il y a trop de monde et nous ne pouvons pas y aller et y tremper nos filets.»
En vertu de ce système, les titulaires de permis, y compris les 20 Premières Nations nouvellement arrivées, reçoivent des quotas en fonction du nombre de personnes vivant dans leur communauté, et des rivières leur sont attribuées où chaque titulaire de permis est autorisé à pêcher les minuscules anguilles, appelées civelles.
Ottawa a décidé l'an dernier que la moitié des 9950 kilogrammes de prises autorisées détenues par les titulaires de permis commerciaux de longue date serait transférée, sans compensation, aux Premières Nations.
Les prix des prises varient, mais ces dernières années, les pêcheurs ont reçu entre 1700 $ et 5000 $ le kilogramme pour les civelles, qui sont exportées en Chine et élevées jusqu'à leur taille adulte dans des exploitations aquacoles.
Mme Edwards et son partenaire de pêche, Alan MacHardy, affirment qu'en vertu du nouveau système, l'entreprise pour laquelle elle travaille a conservé le permis fédéral de pêche sur la rivière Hubbards.
Une cinquantaine de personnes installées
Les deux avaient pêché tranquillement sur le site pendant plus d'une semaine sans incident, a déclaré Mme Edwards, et ils ont donc été surpris de voir le stationnement se remplir soudainement de camions dimanche soir, peu après leur arrivée. Ils ont estimé qu'une cinquantaine de personnes avaient commencé à s'installer sur la rivière.
M. MacHardy a affirmé : «Même si nous devions descendre et plonger, il n'y avait aucun endroit où le faire, car il y avait trop de monde (…) Nous avons perdu la nuit de pêche.»
La cheffe Michelle Glasgow, de Sipekne'katik, n'a pas immédiatement répondu à une demande de commentaires par courriel.
Dans une récente lettre envoyée au ministère fédéral des Pêches, le chef Bob Gloade, de la Première Nation de Millbrook, a déclaré que Sipekne'katik s'était joint à sa Première Nation pour faire valoir sa compétence et créer ses propres plans de pêche à la civelle, ce qui inclut son droit de choisir les rivières où pêcher.
Le chef Gloade a écrit que, conformément à la décision de la Cour suprême du Canada de 1999 dans l'affaire Donald Marshall Jr., les pêcheurs des Premières Nations ont le droit d'établir leur propre système de réglementation et de pratiquer la pêche pour gagner convenablement leur vie.
«Nous ne sommes pas réglementés par vos systèmes coloniaux de permis commerciaux, et nous n'acceptons pas le plan de gestion que vous proposez», a-t-il écrit.
Cependant, dans une lettre du 18 mars obtenue par La Presse Canadienne, le directeur général régional du ministère a informé plusieurs Premières Nations que les affaires judiciaires corroborent la position d'Ottawa selon laquelle il peut définir des quotas et des zones de pêche.
Doug Wentzell a souligné que la Cour suprême avait clairement indiqué dans l'arrêt Marshall que, si les communautés autochtones ont le droit de gagner convenablement leur vie, Ottawa conserve un rôle dans la réglementation de la pêche. Le fonctionnaire fédéral a également cité une décision de la Cour suprême établissant que la conservation des pêches repose sur un système centralisé de contrôles, «et qu'un système de contrôle commence par la délivrance de permis».
M. Wentzell a expliqué que les contrôles mis en place pour la pêche à la civelle sont raisonnables, «en particulier dans une pêche devenue extrêmement difficile à gérer ces dernières années».
Répondant aux préoccupations du chef Sipekne'katik, M. Wentzell a écrit que les efforts de consultation de son ministère auprès de la Première Nation avaient rencontré un succès limité. Il a indiqué que la communauté s'était vu attribuer cinq rivières où ses pêcheurs pourraient travailler, ajoutant que «si d'autres rivières présentent un intérêt pour Sipekne'katik pour la saison 2025, le ministère serait heureux de les examiner».
M. MacHardy et Mme Edwards ont indiqué qu'ils espéraient que le chaos qui a régné l'année dernière et qui a forcé Ottawa à fermer complètement la pêche était derrière eux.
«Jusqu'à présent, nous étions pleins d'espoir, car les gens restaient à l'écart. Nous nous sommes dit : 'Peut-être que ça marche. Peut-être que le plan fonctionne.' Nous sommes arrivés aujourd'hui et ce que nous avons vu a été un véritable choc», a ajouté Mme Edwards.
La Presse Canadienne