Les mesures pour attirer les nouveaux médecins de famille en région fonctionnent
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Les actions des gouvernements au cours des dernières années dans le but d'attirer de nouveaux médecins de famille en région ont été un succès, soulève un nouveau rapport du CIRANO. Cependant, une des conséquences de certaines mesures incitatives ou coercitives a été de rendre la médecine de famille moins attrayante et d'inciter des médecins à exercer au privé.
L'étude du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) souligne d'emblée que de manière générale, à travers le Québec, le nombre de médecins de famille a augmenté, passant de 55 par 100 000 habitants en 1975 à 132 en 2021. Les inégalités dans la répartition géographique des médecins de famille se sont rétrécies durant cette période.
Les chercheurs observent que dans les régions éloignées ou isolées, le nombre de médecins de famille par 100 000 habitants est passé de 47 en 1975 à 191 en 2021.
Les régions considérées éloignées sont le Bas-Saint-Laurent, l'Abitibi-Témiscamingue, la Côte-Nord et la Gaspésie-Îles-de-la-Madelaine. Les régions isolées sont le Nord-du-Québec, le Nunavik et les Terres-cries-de-la-Baie-James.
Dans les régions universitaires — Capitale-Nationale, Montréal, Estrie — on comptait 69 médecins de famille par 100 000 habitants dans les années 1970, alors qu'ils sont désormais 146.
«Malgré le fait qu'on a un système public universel et gratuit, il y a quand même des inégalités géographiques substantielles dans la répartition géographique des médecins de famille aux Québec. Et ceci peut engendrer des problèmes de santé importants, en particulier pour la population vulnérable», explique en entrevue Bernard Fortin, chercheur principal de l'étude et professeur émérite au département d'économique de l'Université Laval.
Son étude a analysé les mesures mises de l'avant à partir de 1975 parce que c'est à ce moment-là qu'on s'est rendu compte que la «densité médicale» était beaucoup plus faible dans les régions éloignées et isolées.
Les chercheurs ont conclu que trois mesures ont particulièrement réussi à influencer le choix du lieu de pratique des nouveaux médecins de famille du Québec: les bourses d'études, la rémunération différente selon les régions et les PREM (Plans régionaux d'effectifs médicaux).
«La première initiative en 1975, qui était juste des bourses, ça n'a pas vraiment marché, mais après, dans les années 80, il a commencé à y avoir des mesures de majoration du revenu si on allait s'installer en région et ça avait déjà un effet positif», indique la chercheuse au CIRANO Maude Laberge, également professeure agrégée au département de médecine sociale et préventive de la Faculté de médecine de l'Université Laval.
La rémunération différente selon la région de pratique est un principe selon lequel un omnipraticien qui exerce à Rimouski, par exemple, recevra 120 % des honoraires de base de l’assurance-maladie. Le médecin de Rimouski serait donc payé 120 $ pour un acte médical qui serait payé 100 $ à un médecin de Montréal.
Il y a des avantages et des inconvénients aux différentes mesures. «Les PREM, ça coûte rien au contribuable, mais en contrepartie c'est le médecin qui est contraint par les PREM. [...] Alors que les bourses ou la rémunération différente, ça implique des coûts financiers pour les contribuables», illustre M. Fortin.
Il précise par ailleurs que les campus délocalisés ont aussi un impact sur l'incitation du médecin à s'installer en région. Ainsi, si un étudiant fait sa formation de médecine au campus de l'Université Laval à Rimouski, il y a plus de chance qu'il pratique dans cette région ou aux alentours.
Les PREM dévalorisent la médecine de famille
En 2004, le ministère de la Santé et des Services sociaux a introduit les Plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM). À partir de ce moment, tout nouvel omnipraticien qui désire s'installer dans une région de pratique doit obtenir un avis de conformité du département régional de médecine générale (DRMG) sous peine d’une pénalité.
Si le médecin n’obtient pas son avis de conformité, peut-être parce que les besoins sont comblés dans la région où il veut s'établir, ce dernier aura une réduction assez importante de sa rémunération.
En 2015, les PREM sont devenus plus contraignants. «D’une part, au lieu de considérer juste une région, on considère maintenant des sous-régions. Aussi, avant, il y avait un moyen de contourner les PREM en travaillant dans un établissement plutôt qu’en cabinet. Maintenant, les pénalités s’appliquent aussi en établissement», indique Mme Laberge.
Les PREM ont eu «des effets très significatifs», particulièrement à Montréal, affirme M. Fortin.
«Ç'a eu pour effet de réduire la densité des médecins à Montréal par rapport aux autres régions, précise-t-il. Ç'a augmenté de façon considérable la fraction des médecins qui vont en régions périphériques ou intermédiaires.»
Toutefois, les PREM peuvent décourager des étudiants de choisir la médecine familiale comme spécialité. «Ça enlève une partie de liberté de choix pour le médecin et ça peut l'inciter à contourner les PREM en choisissant de ne pas devenir médecin de famille. Et donc, ça peut avoir pour effet de réduire la proportion des étudiants qui vont en médecine de famille», pointe M. Fortin.
Sa collègue Maude Laberge abonde dans le même sens. «Un des éléments qui attire les médecins dans les régions, c'est le nombre de médecins qu'il y a dans la région. Clairement, ils veulent travailler avec d'autres personnes. Peut-être que les médecins se disent ''moi, je veux absolument pratiquer à Montréal, j'ai de meilleures chances en choisissant une autre spécialité que la médecine de famille''», avance-t-elle comme hypothèse.
L'obligation de Dubé d'aller au public, une bonne idée?
Le gouvernement Legault veut freiner l’exode des médecins vers le privé. Le ministre de la Santé, Christian Dubé, espère y arriver avec son projet de loi déposé à l'Assemblée nationale à la fin de 2024, qui obligerait les nouveaux médecins, qu'ils soient omnipraticiens ou spécialistes, à pratiquer dans le réseau public pendant les cinq premières années de leur carrière, sans quoi ils auraient de sévères pénalités financières.
Mme Laberge confirme qu'il y a une augmentation des médecins qui se désaffilient de la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ). Elle voit d'un bon œil les mesures qui encouragent les finissants en médecine à travailler dans le réseau public, mais elle ne s'avance pas à savoir si l'idée de M. Dubé est la bonne.
Elle pense qu'on pourrait notamment réguler le prix que les médecins qui se désaffilient de la RAMQ ont le droit de facturer.
«La proportion des coûts de formation d'un médecin qui est payée par le médecin lui-même est très faible par rapport à ce que le contribuable, par ses taxes, doit payer, souligne M. Fortin. Donc, on doit s'attendre à ce qu'en retour, le médecin fasse sa part pour aller travailler dans le secteur public.»
L'étude du CIRANO s'est penchée sur l'attraction des nouveaux médecins en région, mais pas sur la rétention. M. Fortin a fait savoir qu'il travaillait présentement sur cet aspect. «Ce n'est pas tout de faire en sorte qu'ils s'installent en région, l'autre question c'est combien de temps ils vont rester», soulève-t-il.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne