Les demandes d'admission d'étudiants internationaux dans les universités s'affaissent
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Avant même que Québec ne rende publics les plafonds d’étudiants internationaux dans les universités, les demandes d’admission provenant de l’extérieur du pays sont en chute libre dans certaines universités.
C’est ce qui se dégage des réponses obtenues par La Presse Canadienne, qui a cherché à savoir auprès des universités accueillant les plus fortes proportions d’étudiants internationaux si la seule menace d’imposer des plafonds a déjà un impact avant que ceux-ci ne soient annoncés.
Bien que le ministre de l’Immigration, Jean-François Roberge, ait promis d’épargner les programmes en région, des voix s’étaient élevées de partout réclamant, entre autres, qu’il évite d’imposer des quotas pour les étudiants de deuxième et troisième cycles (maîtrise et doctorat) qui sont au cœur de la recherche scientifique québécoise.
Plafonds bientôt connus
Au bureau du ministre, on nous dit que le décret pour fixer les plafonds sera adopté bientôt et que «nous avons toujours dit que le but est de favoriser les programmes en région, et c’est toujours notre intention». On n’a toutefois pas voulu répondre aux questions posées à deux reprises sur la protection des programmes de deuxième et troisième cycles.
Selon les données de l’Institut de la statistique du Québec croisées avec celles du ministère de l’Éducation, les 17 institutions universitaires québécoises accueillent un peu plus de 56 000 étudiants internationaux, soit 18,4 % d’une population étudiante universitaire d’un peu plus de 306 000 personnes. La moitié (51,1 %) de ces étudiants internationaux sont aux deuxième et troisième cycles. Sur le lot, six établissements universitaires comptent plus de 25 % d’étudiants internationaux parmi leur effectif étudiant total.
INRS: deux tiers d'étudiants internationaux
Au premier rang, loin devant tous les autres, se trouve l’Institut national de recherche scientifique (INRS), une composante de l’Université du Québec dont 67 % des étudiants ont été recrutés à l’étranger. Cette proportion s’explique en grande partie par le fait que l’INRS ne compte que des étudiants à la maîtrise et au doctorat.
Toutefois, indique sa porte-parole Julie Robert, «le nombre de demandes d’admission d’étudiants étrangers a connu une baisse de 32 % à l’automne 2024 par rapport à l’automne 2023 alors qu’il avait connu une croissance de 107 % entre les trimestres d’automne 2019 et 2023».
«Il semble que les décisions du gouvernement du Canada ont affecté à la baisse les demandes d’admission partout au Canada ainsi qu’à l’INRS et que l’ajout de quota par le gouvernement du Québec ne peut qu’ajouter aux craintes des candidats potentiels de l’étranger», ajoute-t-elle, rappelant que «toute barrière réelle ou perçue ne peut que nuire à la compétitivité en recherche de l’INRS et du Québec».
Inquiétude à l'UQAC
L'Université du Québec à Chicoutimi vient au deuxième rang avec sa cohorte de 2750 étudiants internationaux, représentant 37,8 % de sa population étudiante (7276). Sa directrice du service des communications, Marie-Karlynn Laflamme, souligne d'entrée de jeu que les efforts intenses de recrutement à l'étranger ont porté fruit: «Les étudiants internationaux viennent augmenter considérablement les cohortes depuis 3 ans.»
Les annonces, tant d'Ottawa – qui a aussi promis une réduction du nombre de visas d'étudiant qui seront émis – que de Québec ont eu un impact immédiat, dit-elle. «Nous constatons actuellement une baisse importante du nombre de demandes d’admission en provenance de l’international pour l’ensemble de nos programmes.»
Si elle préfère attendre la fin de la période d'admission avant d'avancer des chiffres, elle affirme déjà avec certitude que «nous connaîtrons nécessairement une diminution des inscriptions».
ÉTS: baisse importante en vue
Les quelque 3000 étudiants internationaux qui fréquentent l’École de technologie supérieure (ÉTS), aussi affiliée à l’Université du Québec, représentent le tiers (33,3 %) de la population étudiante, ce qui la place au troisième rang de cette liste. Son directeur du service des affaires publiques, Jean-Alexandre D’Etcheverry, signale «qu’une tendance importante se dessine à la baisse sur le plan des demandes d’admission depuis l’automne. Pour l’instant, une baisse entre 30 % et 40 % s’annonce pour la session d’hiver, ce qui montre que l'incertitude causée par les discussions sur le sujet ont déjà un impact. On anticipe une baisse potentielle des inscriptions pour les prochaines sessions, ce qui nous inquiète à plusieurs égards», explique-t-il.
L’École nationale d’administration publique (ÉNAP), une autre composante de l’Université du Québec, compte un peu moins de 2000 étudiants, tous aux deuxième et troisième cycles, dont 29,5 % viennent de l’étranger. L’institution n’a pas voulu commenter les intentions du ministre Roberge d’imposer des plafonds avant que ceux-ci ne soient connus. Selon nos informations, toutefois, les demandes d’admission y sont déjà en baisse, bien qu’il n’ait pas été possible d’obtenir les données à cet effet.
«Des conséquences négatives durables»
Même chose du côté de l’Université McGill, où un peu moins de 10 800 étudiants internationaux représentent 29 % d’une population étudiante de 37 000. Le Service des relations avec les médias nous a répondu par courriel que «McGill ne partage pas normalement (les chiffres) en lien aux demandes d’admission».
L’université avait toutefois fait connaître son point de vue sur la question des plafonds dans un mémoire conjoint avec les Universités de Montréal, de Sherbrooke et Laval, présenté le 5 novembre lors des consultations sur le projet de loi 74: «L’attractivité du Québec auprès des étudiants internationaux ainsi que les bénéfices qui en découlent pour la société sont le résultat d’efforts déployés par les universités depuis des décennies – avec l’appui des gouvernements successifs (…) Or, le projet de loi 74 menace d’effacer ces gains. En ouvrant la porte à une réduction importante, par décret, du nombre d’étudiants internationaux, ce projet de loi pourrait entraîner des conséquences négatives durables pour le Québec.»
Une tendance à la baisse qui inquiète
Au sixième rang, enfin, vient l’École Polytechnique, où plus de 2600 étudiants internationaux comptent pour 27,7 % de la population étudiante. «On remarque à Polytechnique Montréal une baisse significative des demandes d’admission de l’international pour l’automne 2025 par rapport au même moment l’an dernier», nous écrit Christian Merciari, du Service des communications de Polytechnique.
«Cette tendance à la baisse nous inquiète car si cette décroissance des demandes d’admission et des inscriptions devait se concrétiser, elle aurait des conséquences néfastes sur nos différents programmes de recherche et d’innovation», poursuit-il, s’inquiétant de l’absence d’information à l’approche du 1er mars, date limite pour les demandes d’admission des étudiants internationaux.
L’importance des chercheurs internationaux
«Les étudiants venus de l’étranger contribuent de façon significative aux programmes de recherche et d’enseignement dans nos universités et industries, fait valoir M. Merciari. En effet, près de 60 % des inscrits à la maîtrise et près de 70 % des inscrits au doctorat à Polytechnique Montréal proviennent de l’international. L'apport de ceux-ci à nos programmes de recherche est donc crucial pour assurer l'avenir du développement technologique et scientifique du Québec.»
La directrice générale de Polytechnique, Maud Cohen, avait elle-même fait une sortie publique à ce sujet dans La Presse, le 5 novembre dernier. Soulignant que les étudiants québécois se tournent plus rapidement vers le marché du travail après le baccalauréat, «ce sont principalement des étudiants venus de l’étranger qui contribuent de façon significative aux programmes de recherche et d’enseignement dans nos universités et industries. Ainsi, près de 60 % des inscrits à la maîtrise et près de 70 % des inscrits au doctorat à Polytechnique Montréal proviennent de l’international», expliquait-elle, ajoutant que 75 % des diplômés internationaux des cycles supérieurs s’installent au Québec. «Si les cerveaux ne viennent pas ici, ils iront nécessairement ailleurs», écrivait Mme Cohen, tout en faisant valoir que de limiter leur accès pourrait amener les grandes universités du monde à décider de restreindre l’admission des étudiants québécois.
Recruter les meilleurs profs et étudiants
Le directeur général de l’INRS, Luc-Alain Giraldeau, avait fait une sortie à son tour avec une lettre d’opinion dans Le Devoir du 11 novembre 2024. «Cette présence internationale est avantageuse pour nous, car elle nous permet de recruter le meilleur corps professoral, mais aussi les meilleurs étudiants de recherche au monde», écrivait-il alors, faisant valoir que bon nombre de ces étudiants restent au Québec et que leur contribution permet l’émergence de découvertes bien québécoises.
Jean-Alexandre d’Etcheverry, de l’ÉTS, souligne aussi que «la baisse pourrait réduire notre capacité à fournir les ingénieur(e)s nécessaires aux projets du Québec, et comme la baisse se fait beaucoup sentir aux cycles supérieurs, nous sommes inquiets quant aux impacts sur la recherche appliquée avec les entreprises».
Le scientifique en chef s'en mêle
Même le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, était venu ajouter sa voix dans un texte d’opinion publié par Le Devoir le 14 novembre dernier, rappelant sa propre carrière de chercheur. «Sans l’apport essentiel des étudiants étrangers, mon laboratoire n’aurait tout simplement pas réussi à se démarquer comme un leader mondial en recherche sur la santé mentale et les maladies neurodégénératives», écrivait-il. Selon lui, il était essentiel au contraire de maintenir, voire d’augmenter, le nombre car «dans plusieurs disciplines et champs de recherche où le Québec excelle, le manque d’étudiants québécois et canadiens est alarmant (sciences de la vie, génie, numérique, aérospatiale, environnement et plusieurs autres)». Il suggérait à tout le moins au gouvernement d’exclure les étudiants au niveau de la maîtrise, du doctorat et du postdoctorat de ses éventuelles restrictions.
La question de l’argent
Dans l’ensemble, les universités n’abordent que vaguement ou indirectement une réalité qu’elles observent néanmoins de très près: l’argent. Toute réduction du nombre d’étudiants internationaux entraînera un manque à gagner majeur. Les droits de scolarité de ceux-ci sont de très loin supérieurs à ceux payés par les étudiants québécois.
Par exemple, à l’INRS, qui compte 67,3 % d’étudiants internationaux, ceux-ci paient de 9636 $ à 12 048 $ par trimestre, selon le type de maîtrise ou de doctorat, comparativement à 1644 $ par trimestre pour les étudiants québécois à tous les niveaux (toutes les données présentées ici comprennent les autres frais – frais généraux, services aux étudiants, associations étudiantes – afin de refléter le coût réel des études au-delà des droits de scolarité. Certaines données étaient disponibles par trimestre, d’autres par année).
À l’ÉTS, les étudiants québécois versent 4790 $ par année au baccalauréat et 3600 $ par année à la maîtrise et au doctorat. Les internationaux, eux, doivent payer 34 460 $ au bac et de 20 290 $ à 25 600 $ par année selon le type de maîtrise. Ils ne paient que 4670 $ au doctorat, mais c’est parce que des bourses du gouvernement du Québec comblent la différence, de sorte que l’ÉTS reçoit quand même le total des droits de scolarité exigés de tous les étudiants internationaux.
Dans le cas de l’ÉNAP, les étudiants québécois paient 1980 $ par trimestre à tous les niveaux, alors que les étudiants internationaux paient 7723 $ au doctorat et entre 8544 $ et 10 292 $ selon le type de maîtrise.
Programmes à risque
Ce ne sont là que quelques exemples des écarts entre ce que paient les étudiants d’ici et ceux de l’international. Des écarts encore plus grands peuvent être constatés dans certaines universités où les coûts varient énormément d’un programme à l’autre. Les universités comptant de forts contingents d’étudiants internationaux craignent donc de se retrouver avec d’importants manques à gagner. L’Université McGill a d’ailleurs annoncé, le 10 février dernier, qu’elle procédera à d’importantes compressions en raison, surtout, de la diminution prévue d’étudiants internationaux.
Marie-Karlynn Laflamme, de l'UQAC, est d'ailleurs très claire à ce sujet: «Nous sommes actuellement à mesurer l’impact de divers scénarios de baisse d’étudiants internationaux sur notre exercice budgétaire 25-26 et nos programmes», laissant ainsi entendre que des programmes trop peu fréquentés pourraient disparaître, et ce, en dépit des promesses du ministre Roberge d'épargner les régions.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne