Nous joindre
X
Rechercher
Publicité

Les changements climatiques bouleversent notre perception du printemps

durée 12h01
22 mars 2025
La Presse Canadienne, 2024
durée

Temps de lecture   :  

8 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

Les grenouilles chantantes cherchent l'amour. Une sève sucrée coule des érables. De magnifiques oiseaux migrateurs retournent à leurs nids nordiques.

Le printemps est synonyme de transformations, une saison souvent marquée par ses images, ses odeurs, ses sons et ses saveurs dynamiques. Mais à mesure que l'homme modifie le climat, notre perception de la saison évolue également.

Voici quelques-unes des façons dont le changement climatique, provoqué par la combustion des ressources fossiles, transforme nos sens printaniers.

Ouïe: un chant plus discret

On dirait un doigt qui passe sur un peigne fin, mais c'est à peu près aussi fort qu'une tondeuse à gazon.

Difficile à repérer — avec seulement 2,5 centimètres de long —, lorsque la rainette faux-grillon émerge au début du printemps, son chant nuptial peut être entendu à un kilomètre de distance.

Pour Jeffrey Ethier, c'est le son le plus emblématique de l'arrivée du printemps.

«On sent ses tympans vibrer», a expliqué M. Éthier, doctorant à l'Université d'Ottawa spécialisé dans l'enregistrement et l'étude de leurs cris.

Ce son emblématique est toutefois menacé.

Au Québec, où la rainette faux-grillon est classée comme espèce vulnérable, sa population a diminué à un rythme estimé à 37 % par décennie depuis les années 1950. Elle ne vit plus que dans près de 10 % de son ancienne aire de répartition.

La perte rapide d'habitat est considérée comme la principale cause du déclin de la population, mais le changement climatique aggrave cette menace, selon M. Éthier.

La rainette faux-grillon est très sensible aux changements de température et se reproduit dès les premiers signes du printemps. Comme le changement climatique augmente les risques de conditions météorologiques extrêmes, notamment de brèves vagues de chaleur anormalement élevée, supérieures à zéro, à la fin de l'hiver ou au début du printemps, cela pourrait inciter les rainettes à se reproduire trop tôt, a ajouté le spécialiste.

Si leurs étangs de reproduction printanière gèlent à nouveau, les œufs des rainettes pourraient mourir. Par ailleurs, les vagues de chaleur en début de saison pourraient assécher ces étangs plus rapidement qu'auparavant, a indiqué M. Ethier.

Perdre complètement le chant des rainettes faux-grillons ne semble plus une perspective lointaine, surtout pour les populations du Québec et de l'est de l'Ontario.

«Ce serait comme perdre un être cher. Voici quelque chose de si familier, si emblématique et si important au printemps. Perdre ce chant, ce serait perdre un membre de votre famille et ne plus pouvoir entendre sa voix tous les jours», a souligné l'expert.

À l'échelle mondiale, environ 40 % des espèces d'amphibiens sont menacées d'extinction et les changements climatiques sont le principal facteur de détérioration de leur statut depuis 2004.

Toucher: une saison des allergies qui s'aggrave

Pour les patients du Dr Adam Byrne, la sensation physique du printemps peut s'accompagner de démangeaisons oculaires et nasales, d'éruptions cutanées et de poussées d'eczéma. Ils font partie des quelque un Canadien sur quatre qui souffre d'allergies saisonnières, souvent déclenchées par le pollen des arbres et des graminées.

«Notre société parle beaucoup des changements climatiques à venir et de ce qui nous attend. Et je pense que du point de vue des allergies, les changements sont là, nous les constatons déjà, a déclaré le Dr Byrne, allergologue et immunologiste clinicien basé à Ottawa, au Centre hospitalier pour enfants de l'est de l'Ontario. Nous sommes un peu le canari dans la mine de charbon.»

Les changements climatiques d'origine humaine entraînent des températures plus élevées, permettant aux plantes de pousser plus tôt dans la saison, et augmentent les niveaux de CO2, ce qui favorise la croissance du pollen. En général, cela signifie qu'il y a plus de pollen dans l'air pendant une période plus longue au printemps, a expliqué le Dr Byrne.

Au Canada, la saison de croissance commence, en moyenne, environ six jours plus tôt qu'au milieu du XXe siècle, selon les données fédérales. Par ailleurs, les concentrations moyennes de pollen en Amérique du Nord ont augmenté de 20 % au cours des trois dernières décennies, d'après une étude de 2020.

Au printemps, le pollen des arbres est un déclencheur d'allergie courant. Mais la saison des graminées, qui culmine généralement à la fin du printemps ou au début de l'été, commence également à avancer. Les personnes allergiques aux arbres et aux graminées commencent à être «sérieusement affectées» lorsque les deux se chevauchent, a mentionné le Dr Byrne.

«Notre système immunitaire n'est tout simplement pas habitué à des niveaux aussi élevés pendant aussi longtemps», a-t-il ajouté.

Parallèlement, alors que certains arbres canadiens étendent leur aire de répartition vers des latitudes auparavant inhospitalières, les communautés nordiques pourraient connaître une augmentation des allergies, confrontées à une augmentation des pollens de chêne, de bouleau, d'érable et d'autres espèces, a précisé l'allergologue.

Goût: trouver le juste milieu

L'une des saveurs printanières les plus emblématiques du Canada pourrait devenir un peu moins sucrée.

Des études ont indiqué que la teneur en sucre de la sève pourrait diminuer légèrement pour chaque degré de réchauffement au cours de la saison de croissance précédente.

Les consommateurs pourraient ne pas remarquer la différence, a souligné Josh Rapp, chercheur américain et coauteur d'une étude de 2019 sur le sirop d'érable et le changement climatique. Mais cela pourrait obliger les producteurs à utiliser davantage de sève pour trouver le point idéal.

«Cela signifie que vos coûts vont légèrement augmenter», a expliqué M. Rapp, qui est aussi écologiste forestier principal chez Mass Audubon, un organisme à but non lucratif de protection de la nature.

Au Canada, les entailles de sirop d'érable coulent généralement encore à l'arrivée du printemps, tant que les températures fluctuent entre le jour et la nuit.

M. Rapp et ses coauteurs, dont des Canadiens, ont constaté que, dans toute l'aire de répartition nord-américaine de l'érable à sucre, le changement climatique devrait entraîner une baisse de la production de sirop dans le sud de l'Ontario et du Québec, mais pourrait augmenter dans le nord.

Luc Lagacé et son équipe du Centre ACER, établi au Québec et consacré à la recherche sur le sirop d'érable, étudient cette migration et les zones où la production de sirop pourrait prospérer à l'avenir.

«La principale préoccupation est de savoir si les acériculteurs seront en mesure de produire du sirop à long terme», a-t-il déclaré.

Les risques à court terme comprennent les phénomènes météorologiques extrêmes d'origine climatique, des feux de forêt aux tempêtes de vent, en passant par les infestations d'insectes.

Odeur: une brise plus enfumée

Payton Knight sent les feux de forêt approcher.

L'odeur de feu de camp, rappelant parfois le plastique brûlé, persiste souvent dans la ferme familiale en activité au sud d'Edmonton.

«Je déteste ça», a raconté la jeune fille de 13 ans.

Des études indiquent que les changements climatiques contribuent à accélérer les saisons des feux de forêt et à intensifier les incendies. Une étude récente sur les incendies au Canada de 1981 à 2020 a révélé que certaines régions avaient connu une augmentation significative du nombre de jours propices aux feux de forêt très violents, principalement au printemps et à l'automne.

Pour Payton Knight, cela signifie plus de jours où elle peut avoir du mal à respirer. L'adolescente souffre d'une forme grave d'asthme avec de multiples déclencheurs, mais les feux de forêt sont parmi les pires d'entre eux.

«J'ai un peu l'impression d'avoir un éléphant assis sur ma poitrine, a raconté Payton Knight. Imaginez respirer avec une paille.»

Lorsque l'air est pur, l'adolescente passe ses journées dehors, à monter son cheval adoré Reo et à s'occuper des chèvres de la famille et de ses agneaux. Mais lorsque la fumée arrive, elle doit rester enfermée à l'intérieur et doit parfois rester à la maison pendant plusieurs jours.

Séparée de la nature, elle a du mal à comprendre pourquoi quelqu'un choisirait de rester à l'intérieur.

Si le Canada possède l'un des airs les plus purs au monde, les feux de forêt ont terni cette réputation. En mai, lors de la saison record des feux de forêt de 2023 au Canada, la pollution de l'air à Peace River, en Alberta, était pire que la moyenne annuelle de l'Inde, le troisième pays le plus pollué, selon les données compilées par l'entreprise suisse de qualité de l'air IQAir.

Si la qualité de l'air s'améliore, les poumons des enfants fonctionnent mieux et ils sont moins susceptibles de développer de l'asthme ou des symptômes graves, a indiqué la Dre Anne Hicks, médecin de l'adolescente et professeure agrégée en pneumologie pédiatrique à l'Université de l'Alberta.

«Si nous dégradons la qualité de l'air, que ce soit à cause des voitures ou des feux de forêt, nous aurons une génération d'enfants dont les poumons seront plus petits et fonctionneront moins bien», a souligné la Dre Hicks.

Vue: diminution des foules migratoires

La vue des premiers oiseaux migrateurs au printemps a longtemps été thérapeutique pour Jody Allair — signe du retour de la vie et de la chaleur après un long hiver.

«Mais quand je regarde le printemps maintenant, je ne peux m'empêcher de me sentir un peu mélancolique», a reconnu Mme Allair, biologiste à Drumheller, en Alberta, et directrice des communications d'Oiseaux Canada.

Mme Allair a vu les données, mais elle a aussi vu le ciel. Le changement climatique accélère le déclin de plusieurs espèces d'oiseaux et atténue le spectacle printanier.

«Je le sens, je vois bien qu'il y a moins d'oiseaux, a-t-elle mentionné. Avant, on assistait à de grandes migrations d'un mois entier, mais maintenant, ce n'est plus que quelques jours par mois.»

Les oiseaux de rivage, en particulier, qui nichent jusqu'en Arctique, ont vu leurs populations diminuer de 42 % depuis 1980, confrontés à l'élévation du niveau de la mer due au climat et aux perturbations météorologiques extrêmes lors de leurs longs vols.

Pour se motiver à l'idée de cette migration printanière, Mme Allair a récemment remplacé son fond d'écran par une image de la barge hudsonienne. Cet oiseau de rivage au long bec légèrement retroussé et aux pattes fines entreprend une migration printanière de plus de 10 000 kilomètres, longue de plusieurs jours, depuis la pointe de l'Amérique du Sud jusqu'aux zones humides du nord du Canada, notamment l'océan Arctique et la baie d'Hudson.

La population de cet oiseau menacé a rapidement diminué de plus de 90 % depuis les années 1980, le changement climatique et les phénomènes météorologiques violents étant parmi les menaces les plus graves.

Les oiseaux peinent à s'adapter à l'arrivée précoce du printemps, certains oisillons éclosant après la haute saison des insectes. Leur migration printanière traverse les Prairies, où les zones humides se rétrécissent. Selon un rapport d'évaluation fédéral, la montée du niveau de la mer devrait réduire son habitat d'alimentation côtier.

Mme Allair a expliqué qu'il est difficile de sensibiliser le public au déclin des populations d'oiseaux par le biais de graphiques et de données. Il est utile de le constater par soi-même, a-t-elle ajouté.

«Il s'agit d'apprendre à connaître quelque chose et de tisser des liens avec la nature grâce aux oiseaux, ce qui pourrait être une avancée majeure», juge-t-elle.

Jordan Omstead, La Presse Canadienne