Leçons de science et d'amitié provenant de l'île de Sable en Nouvelle-Écosse


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Par La Presse Canadienne, 2024
HALIFAX — Sur l'île de Sable, mince bande de sable en forme de croissant dans l'océan Atlantique, les paysages changeants offrent des expériences à la fois éblouissantes et bouleversantes.
Cet îlot isolé abrite environ 450 chevaux sauvages, plus de 20 000 phoques, d'innombrables oiseaux marins et, au sommet de la saison estivale, une quinzaine d'humains.
Si loin dans l'océan — à environ 290 kilomètres au sud-est d'Halifax — l'île de Sable est frappée par des changements climatiques rapides et violents qui peuvent laisser les chercheurs y habitant en état de choc. Les vagues qui s'écrasent sur l'île peuvent s'intensifier rapidement et des journées caniculaires ensoleillées peuvent être rapidement transformées par un épais brouillard.
Justine Ammendolia, doctorante à l'Université Dalhousie, a passé 10 semaines au cours des deux derniers étés à étudier les microplastiques sur l'île de Sable. Le climat et la faune remarquables de l'île l'ont amenée, avec deux autres chercheurs, à rédiger une chronique pour la revue scientifique Nature sur ce qu'ils ont appris — à propos de l'environnement et d'eux-mêmes — en travaillant sur cette île isolée et imprévisible.
Mme Ammendolia a raconté avoir été stupéfaite en août dernier lorsqu'en quelques heures, des vents relativement calmes se sont transformés en une violente tempête; des vagues déferlantes s'écrasant sur les plages. «Il y avait des vents difficiles à percevoir, puis, du jour au lendemain, l'île s'est complètement transformée. Nous nous sommes réveillés avec l'eau qui poussait contre les dunes alors que les plages étaient sous l'eau.»
L'île de Sable fait environ 40 kilomètres de long et un kilomètre de large à son point le plus large. Mme Ammendolia a raconté que voir l'île rétrécir autant aussi rapidement avait été une expérience surréaliste.
Elle et ses nouvelles amies de l'île de Sable, Victoria Crozier et Olivia Andres, chercheuses à l'Université de la Saskatchewan, ont passé la journée suivante à arpenter les dunes, émerveillées par le paysage transformé et les plages inondées. «Voir à quelle vitesse l'océan peut s'installer, se sentir encerclé, ça vous met en état de choc. Vous découvrez un endroit pendant quelques semaines, puis le paysage se transforme alors que la zone déjà restreinte, nichée au milieu de l'océan», explique Mme Ammendolia.
Après les premières inondations, les avions n'ont pas pu atterrir pendant plusieurs jours, et les travaux de certains chercheurs ont été temporairement interrompus, faute de pouvoir contourner l'île inondée. Mme Ammendolia explique qu'il a fallu plus d'une semaine pour que l'eau se retire suffisamment et que l'île retrouve son aspect d'avant la tempête.
«L'île de Sable est un de ces endroits où l'on se sent si vulnérable à la nature. Si l'on ne se sent pas insignifiant, c'est que quelque chose cloche», dit-elle.
Dépendre de la météo
Mme Crozier, qui a passé dix semaines, réparties en deux étés, sur l'île de Sable à étudier la population de chevaux sauvages avec Mme Andres, explique que l'une des premières choses que l'on apprend sur le banc de sable, c'est qu'on est à la merci des caprices de la météo. «Certains jours, vous détesterez le vent. D'autres jours, vous en serez tellement reconnaissant, car il fera très chaud et ensoleillé, et il n'y aura aucune ombre, faute d'arbres», a-t-elle raconté.
Un site internet du gouvernement de la Nouvelle-Écosse indique qu'à l'exception d'un petit pin sylvestre qui survit après avoir été planté près de la station météorologique il y a environ 40 ans, il n'y a pas d'arbres sur l'île.
«Et puis, il y a beaucoup de brouillard, ce qui complique considérablement notre travail», a ajouté Mme Crozier.
Afin d'éviter de déranger les chevaux, des chercheurs les suivent à la trace sur une distance de 500 mètres à un kilomètre, passant souvent 16 heures par jour à recueillir des échantillons de matières fécales du troupeau afin d'y détecter des parasites et des microbiomes. Le vent extrême, la chaleur ou la mauvaise visibilité rendent certaines journées beaucoup plus difficiles que d'autres, a expliqué Mme Crozier.
«Le travail de terrain est imprévisible; pour des raisons telles que la maladie ou les conditions météorologiques défavorables, il n’est pas toujours possible de réaliser tout ce qui était initialement prévu», expliquent les trois chercheurs dans leur article.
Des liens interpersonnels
Le texte décrit également comment elles ont tissé des liens et se sont soutenues mutuellement lors des moments stressants sur cette île isolée. «Nous avons constaté que nous étions moins vigilantes pendant cette période de vulnérabilité, et qu’il était plus facile de nouer des liens significatifs, allant au-delà des simples connaissances superficielles.»
Mme Andres explique que le groupe de chercheurs de l’île avait des intérêts variés et qu'ils étaient heureux de partager leurs connaissances, leurs conseils et de discuter autour d’un café ou d’un repas. «Sur l’île, nous avons travaillé et vécu avec des personnes passionnées par les différents aspects de cet environnement, et les conversations informelles autour d’un dîner nous ont souvent inspiré de nouvelles idées et de nouvelles questions de recherche», explique-t-elle.
Les 15 habitants estivaux de l’île de Sable sont en somme des scientifiques, des chercheurs et des fonctionnaires fédéraux.
«En dehors du travail, nous avions des routines, allant de nos cafés matinaux sur la table de pique-nique de la station (aussi appelée la place publique) à nos couchers de soleil sur la plage, entourés de chevaux et de phoques. Nous étions si peu nombreux sur l'île qu'il semblait inévitable que nous devenions amis», explique l'article.
Le Musée maritime de l'Atlantique indique que, depuis 1583, plus de 250 épaves ont été recensées sur l'île de Sable. Bien qu'il ne reste que peu de vestiges de ces navires, Mme Andres a rapporté qu'il était passionnant de trouver de vieilles bouteilles, de la verrerie et des cages à crabes échoués sur le rivage.
«C'est un endroit tellement unique, différent de tout ce que j'ai pu voir auparavant (…) J'ai adoré voir tous ces morceaux d'histoire échoués sur les plages et explorer de nouvelles régions de l'île avec notre groupe. Ces petites aventures ont été des moments inoubliables», a-t-elle témoigné.
Lyndsay Armstrong, La Presse Canadienne