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Le rejet de l'entente APN-Ottawa sur les services à l'enfance laisse un vide

durée 18h19
9 décembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

OTTAWA — Les dirigeants des Premières Nations sont divisés pour la suite des choses après le rejet d'une entente historique de 47,8 milliards $ avec Ottawa sur une réforme des services à l'enfance et à la famille, ce qui a suscité des avis juridiques divergents des deux côtés du débat.

L'Assemblée des Premières Nations (APN) et une membre du conseil d'administration de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations ont reçu des avis juridiques tout à fait contradictoires sur les voies possibles à suivre.

Le chef régional de l'APN pour l'Ontario, Abram Benedict, affirme que les chefs qu'il représente espèrent toujours que l'entente, que les chefs des autres provinces et territoires ont rejetée il y a deux mois, ne sera pas complètement jetée à la poubelle. Les chefs de l'Ontario ont été des intervenants dans la cause portée devant le Tribunal canadien des droits de la personne, qui a conduit à la conclusion de l'entente de règlement.

Le chef Benedict craint également que certains des éléments du nouveau mandat de négociation décrits par les chefs lors d'une assemblée extraordinaire en octobre ne dépassent la structure de gouvernance actuelle de l'APN.

«L'Assemblée des Premières Nations devra agir dans un avenir très proche pour faire avancer ces positions, mais il faut aussi des partenaires volontaires, a déclaré M. Benedict. Nous réfléchissons encore à nos options.»

Ces options sont également débattues dans le cadre d'examens juridiques commandés par l'APN et une membre du conseil de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations, qui sont toutes deux parties à l'affaire des droits de la personne, aux côtés de la première nation ontarienne Nishnawbe Aski.

Khelsilem, qui dirige la nation Squamish en Colombie-Britannique qui a rédigé une des deux résolutions pour rejeter l'entente en octobre, a critiqué la position des Premières Nations de l'Ontario. Il estime qu'elles ont négocié un «mauvais accord» pour les Premières Nations à l'extérieur de la province et que, maintenant que les chefs veulent retourner à la table des négociations pour obtenir un meilleur accord, elles veulent se séparer complètement du processus.

«Cela porte potentiellement atteinte à l'unité collective des Premières Nations pour parvenir à quelque chose qui va profiter à tous», a-t-il déclaré.

Des décennies de litiges

L'accord de 47,8 milliards $ a été conclu en juillet après des décennies de demandes et de litiges de la part des Premières Nations et des experts, qui cherchaient à remédier à la discrimination à l'encontre des enfants des Premières Nations qui ont été arrachés à leurs familles et placés en familles d'accueil.

Le Tribunal canadien des droits de la personne a déclaré que le sous-financement du Canada était discriminatoire, car cela signifiait que les enfants vivant dans les réserves recevaient moins de services que ceux vivant hors des réserves. La cour a chargé Ottawa de conclure une entente avec les Premières Nations pour réformer le système.

L’accord devait couvrir 10 ans de financement pour que les Premières Nations prennent le contrôle de leurs propres services de protection de l’enfance.

Les chefs et les fournisseurs de services ont critiqué l’accord pendant des mois, affirmant qu’il n’allait pas assez loin pour garantir la fin de la discrimination. Ils ont également fustigé le gouvernement fédéral pour ce qu’ils disent être son échec à consulter les Premières Nations dans les négociations, et pour l’exclusion de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations, qui avait pourtant contribué à lancer la plainte initiale pour atteinte aux droits de la personne.

En octobre, lors d’une assemblée extraordinaire des chefs à Calgary, l’entente a été invalidée par deux résolutions.

L'APN demande un avis juridique

Avant la tenue de cette assemblée extraordinaire, l’APN avait demandé un examen juridique de ces deux résolutions par Fasken Martineau DuMoulin — un cabinet où l’ancien chef national de l’organisation Perry Bellegarde travaille comme conseiller spécial.

Dans cet examen juridique, il semble que l'APN ait demandé des directives sur la façon de se «débarrasser» de deux résolutions utilisées pour rejeter l'accord. Un employé du cabinet d'avocats a déclaré que les dirigeants de l'APN pouvaient examiner les résolutions ensemble s'ils voulaient qu'elles soient toutes les deux supprimées, ou ils pouvaient «laisser place à un compromis» avec l'une des résolutions.

Dans une déclaration, l'Assemblée des Premières Nations a déclaré que l'examen avait été mené pour évaluer les aspects juridiques, techniques et opérationnels des résolutions afin d'assurer leur «mise en œuvre efficace».

«Les opinions formulées par les conseillers externes sont les leurs et ne reflètent pas les points de vue ou les positions de l'APN», a déclaré Andrew Bisson, chef de la direction, qui a ajouté qu'il n'était pas inhabituel pour l'organisation de demander de tels avis.

M. Bisson n'a pas abordé le langage utilisé par un employé du cabinet Fasken pour «se débarrasser» des résolutions, mais a déclaré que «les examens juridiques et techniques ont été menés de bonne foi, et non pour miner la direction des chefs».

«Les chefs ont fourni des directives claires et l'APN s'est engagée à suivre ces directives», assure M. Bisson.

Les révisions juridiques de Fasken, datées du 15 novembre, soutiennent que les résolutions d'octobre sur le bien-être des enfants nécessitent un examen approfondi des votes en leur faveur, ainsi que des changements à la charte de l'organisation si elles sont mises en œuvre.

Une commission illégitime?

La résolution 60 demandait le rejet de l'entente de règlement et la création d'une commission des chefs pour les enfants, qui sera représentative de toutes les régions et négociera des réformes à long terme. Elle demandait également au comité exécutif de l'APN d'«inclure sans condition» dans la négociation la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations.

Or, les avocats de Fasken estiment que la création de cette commission serait contraire à la charte de l'APN et à la loi, car le comité exécutif de l'APN n'a pas ce pouvoir et que ce comité a «seul» le pouvoir d'exécuter des mandats au nom de l'assemblée. Le cabinet ajoute qu'il n'existe aucune mesure de responsabilisation pour le nouvel organe de négociation, et qu'il représentera des régions qui ne participent pas à l'APN.

La résolution 61, qui s'appuie sur la résolution 60, est également contraire à la charte pour les mêmes raisons, selon l'avis juridique du cabinet Fasken. En l'état, les résolutions ne peuvent être mises en œuvre, concluent les avocats.

Le cabinet a également écrit qu'il y avait eu des conflits d'intérêts présumés lors du vote d'octobre, affirmant que «de nombreux mandataires étaient également des employés, des actionnaires, des directeurs, des agents ou avaient un intérêt direct» dans les agences de services à l'enfance et à la famille des Premières Nations dont les intérêts étaient l'objet des résolutions.

Le chef Joe Miskokomon, de la Première Nation des Chippewas de la Thames, dans le sud-ouest de l'Ontario, a parlé de «tromperie politique».

Un autre avis juridique

En réponse à cet examen juridique, une membre du conseil d'administration de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations, qui avait vivement critiqué l'accord de juillet, a demandé son propre avis.

L'examen rédigé par Aird & Berlis pour Mary Teegee et daté du 2 décembre indiquait qu'il était «inapproprié pour l'APN de demander, et de ne pas divulguer, des avis juridiques qui sont ensuite cités pour tenter de remettre en question des décisions déjà prises par les Premières Nations en Assemblée».

Il est également indiqué que, bien que la vice-présidente de l'APN en charge de la politique stratégique et de l'intégration, Amber Potts, ait fait part de ses inquiétudes aux auteurs et aux coauteurs des deux résolutions, l'intégralité de l'avis juridique demandé par l'assemblée ne leur a pas été communiquée.

L'examen demandé par Mme Teegee remet en cause celui de l'APN en affirmant que les résolutions sont conformes à la charte de l'organisation et que rien n'empêche les Premières Nations réunies en assemblée d'exprimer leur volonté souveraine en déléguant leur autorité à une autre entité.

«Le rôle et l'objectif de l'APN sont en tout temps de mettre en œuvre la volonté souveraine des Premières Nations, quelle que soit la manière dont elle est exprimée, sur 'tout sujet' qu'elles jugent approprié», peut-on lire dans l'examen d'Aird & Berlis.

«Il est trop tard pour tenter de remettre en question les résolutions. Elles sont désormais définitives.»

Alessia Passafiume, La Presse Canadienne

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