Le recours à la chirurgie pour soulager la douleur ne serait pas toujours approprié


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Le recours à la chirurgie pour soulager une douleur chronique se fait parfois trop rapidement, sans tenir compte des séquelles possibles, sans une évaluation complète du patient et sans un examen approfondi des alternatives possibles, déplore une nouvelle revue systématique.
Les données actuelles, écrivent les auteurs, «plaident fortement en faveur d'une approche globale de la prise en charge» des maux de dos chroniques.
Les patients souffrant de lombalgies devraient être évalués en vue d'une approche chirurgicale uniquement «lorsque les causes anatomiques ont été identifiées et que des stratégies multidisciplinaires ont été mises en œuvre», ajoutent-ils.
Les auteurs de l'étude mettent en lumière plusieurs éléments «très intéressants», a estimé la cheffe du service de douleur chronique au CHU de Québec-Université Laval, la docteure Anne Marie Pinard, notamment l'existence de «silos» entre le traitement chirurgical et le traitement non chirurgical de la douleur lombaire.
«C'est comme si on disait que le traitement non chirurgical n'est pas bien intégré, a-t-elle ajouté. L'article est très intéressant, parce que ça fait une sorte de lien entre les deux.»
On constate par exemple que la présence de facteurs psychologiques, comme la dépression ou l'anxiété, est un «prédicteur des résultats chirurgicaux», a dit la docteure Pinard.
«Ce n'est pas surprenant, mais c'est toujours intéressant d'en entendre parler parce que ce n'est pas nécessairement la première chose qu'un chirurgien va évaluer chez un patient, a-t-elle souligné. Ça met en lumière l'importance d'aussi explorer cet aspect-là, et pas seulement la structure anatomique qui fait mal.»
Personne ne remet en question la pertinence d'une intervention chirurgicale en cas d'urgence, par exemple pour un patient menacé de paralysie, a dit la docteure Pinard. Mais dans le domaine de la douleur chronique, la blessure initiale est rarement la seule cause du problème, a-t-elle rappelé.
Plus la douleur devient chronique, plus la situation s'embrouille, a dit la docteure Pinard. Cela met en lumière l'importance d'un examen physique bien fait, à une époque où les médecins se fient de plus en plus à l'imagerie, a-t-elle ajouté ― même si, parfois, «l'imagerie nous montre des choses qu'on ne cherche pas» et attire l'attention vers un problème qui n'en est pas vraiment un.
Cela étant dit, les auteurs de l'étude jugent «rassurant de constater que des stratégies multimodales émergentes commencent à compléter les soins neurochirurgicaux».
Ces stratégies, disent-ils, «devraient être intégrées dans le plan de traitement au fur et à mesure que des preuves plus substantielles sont disponibles».
L'accent mis sur une approche multidisciplinaire «souligne l'importance de prendre en compte toutes les stratégies disponibles dans la prise en charge de la lombalgie chronique», selon les chercheurs américains.
«Les auteurs disent que les gens qui n'ont pas de condition urgente devraient avoir accès à un travail d'équipe en réadaptation pendant au moins un an avant d'envisager une chirurgie», a dit la docteure Pinard.
Malheureusement, c'est à ce moment-là que la réalité se concrétise. L'accès à ces soins de réadaptation peut être compliqué et dispendieux, et ne sera donc pas à la portée de tous.
«Il y a des gens qui devraient passer par une équipe de réadaptation et surtout y avoir accès sans attendre, a-t-elle conclu. Quand on se chronicise pendant quatre ou cinq ans, en plus de tous les désavantages que ça a, ça fait que la douleur est de moins en moins spécifique et de plus en plus étendue, (...) et ça devient de plus en plus difficile d'avoir de beaux résultats à la fois en chirurgie puis en réadaptation.»
«On a malheureusement des patients qui attendent pendant des années avant de nous rencontrer, a déploré la docteure Pinard. Je comprends qu'à ce moment-là, le patient, le médecin ou les deux se tournent plus rapidement vers la chirurgie. C'est vraiment un énorme enjeu d'accès.»
Il y une éducation à faire auprès des intervenants de première ligne, mais aussi auprès des patients dont la douleur se chronicise, a-t-elle poursuivi. D'autant plus que les auteurs de la revue systématique ont inclus dans leur travail des études qui montrent des résultats similaires quand on compare des patients opérés à des patients non opérés.
C'est là un aspect très important à mettre de l'avant, a estimé la docteure Pinard, quand on sait que des chirurgies peuvent entraîner des conséquences à long terme
«Je travaille dans une clinique de douleur avec une équipe de réadaptation, a dit la docteure Pinard. On n'a jamais un taux de succès de 100 %, mais on voit des gens qui s'améliorent de manière très significative (...) et qui, au départ, pensaient peut-être à la chirurgie, qui peut avoir l'air d'une solution magique.»
L'attitude des patients est souvent de dire «vite, guérissez-moi que je puisse continuer ma vie», a-t-elle ajouté. Mais face à une douleur chronique, on doit absolument évaluer l'ensemble de la situation, qu'il s'agisse de l'aspect physique, psychologique, pharmacologique ou même social, a-t-elle dit.
En bout de compte, ce qu'on voit, «c'est que c'est une minorité relative de patients qui devraient avoir une chirurgie pour une douleur lombaire chronique, dans un contexte où ils ont un accès à la réadaptation», a indiqué la docteure Pinard.
«Il y a des gens qui devraient passer par une équipe de réadaptation et surtout y avoir accès sans attendre, a-t-elle conclu. Quand on se chronicise pendant quatre ou cinq ans, en plus de tous les désavantages que ça a, ça fait que la douleur est de moins en moins spécifique et de plus en plus étendue, (...) et ça devient de plus en plus difficile d'avoir des beaux résultats à la fois en chirurgie puis en réadaptation.»
Les conclusions de cette étude ont été publiées par le Journal of Neurosurgery: Spine.
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne