Le Québec pourrait augmenter son PIB de 4,9 G$ par une légère hausse de la littératie


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Le Québec pourrait ajouter tout près de 5 milliards $ à son PIB (Produit intérieur brut) sans même construire une usine, un barrage ou quelque infrastructure que ce soit.
Selon une étude de la Fondation pour l’alphabétisation, il suffirait d’améliorer d’un pour cent la littératie – le niveau de lecture et de compréhension de texte – de la population adulte du Québec pour ajouter 4,9 milliards $ au PIB. «Quand on améliore les résultats de littératie, on améliore l'employabilité de la main-d’œuvre, et, évidemment, en augmentant l'employabilité de la main-d'œuvre, c'est l'espérance salariale qu'on augmente et c'est ça qui vient gonfler le niveau du PIB», explique l’économiste Pierre Langlois, qui a réalisé l’étude.
Le président de la Fondation, André Huberdeau, était convaincu de l'existence d'un lien entre littératie et PIB, mais il avoue avoir été surpris de l’ampleur de ce résultat: «C'est tout à fait normal qu’il y ait un impact sur le PIB parce que, dans le fond, un meilleur accès à la lecture et à la compréhension des textes, ça donne accès à de meilleurs emplois, donc à de meilleurs salaires, et, en bout de piste, il y aura un impact économique, mais je ne le pensais pas aussi grand. Presque 5 milliards par année au niveau du PIB, c'est énorme.»
Le problème québécois
Le Québec se situe au huitième rang des provinces canadiennes en matière de littératie, selon les dernières données du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA). Il s’agit d’une amélioration pour le Québec, qui est passé du dixième et dernier rang au huitième et qui se classe au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, mais il est toujours sous la moyenne canadienne.
Il y a six niveaux de littératie sur l’échelle du PEICA (voir ci-dessous) et là où le bât blesse au Québec, c’est qu’un peu plus de la moitié (52 %) de la population adulte de 16 à 65 ans n’atteint pas le niveau 3. «Quand on regarde les derniers résultats du PEICA, on s'aperçoit que beaucoup de gens sont au niveau 2. Le niveau 3 en littératie, c'est le niveau nécessaire pour entrer au cégep, pour bien comprendre la philosophie et les textes un peu plus complexes, par exemple», illustre M. Huberdeau.
«Quand autant de gens n'atteignent pas ce niveau-là, poursuit-il, ils risquent de voir un impact sur leur travail dans les prochains mois, dans les prochaines années, quand viendra le temps de s'adapter à de nouvelles réalités avec l'informatisation des données, avec des changements de catégorie au niveau des emplois. Si vous avez de la difficulté à lire et à écrire, à comprendre des textes un peu plus complexes, c'est un handicap majeur et, en ce sens, un point de pourcentage ça ne paraît pas beaucoup, mais c'est énorme», fait valoir le président de la Fondation.
Quand 1 % compte beaucoup
Il y a deux façons de voir cet ajout potentiel de 4,9 milliards $ au PIB. En chiffres absolus, c’est une somme considérable. Lorsqu’on le mesure contre le PIB réel du Québec qui, selon les données les plus récentes de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), se situait à 442 milliards $ en novembre dernier, cela ne représente plus que 1,1 % d’augmentation.
Il faut toutefois éviter de minimiser un tel apport, avertit Pierre Langlois: «C'est significatif dans la mesure où c'est récurrent. C'est-à-dire que si on améliore globalement le profil de littératie des Québécois et de ce fait, l'employabilité et l'espérance salariale, c'est un phénomène structurant, qui revient année après année. Une telle transformation récurrente de notre structure économique doit être vue sur une longue période.» Il faut aussi se rappeler que les variations du PIB réel se situent justement dans cette fourchette. Par exemple, l’ISQ fait état d’une croissance du PIB réel de 0,4 % au troisième trimestre de 2024, ce qui représente 1,8 % sur une base annualisée. L’augmentation annualisée du PIB canadien, selon les mêmes calculs, se situe à 1,1 %. Un ajout de 1 % devient alors majeur.
Diplômer davantage au secondaire
Pierre Langlois estime que «le grand morceau de la lutte pour améliorer la littératie, ça demeure la diplomation au niveau secondaire et c’est là qu’on tire un peu le signal d'alarme. C'est-à-dire que oui, il y a eu une progression de la diplomatie secondaire dans les 20 dernières années au Québec, mais lorsqu’on se compare aux autres provinces, c'est là qu'on voit vraiment des écarts importants. Dans certaines commissions scolaires en Ontario, on diplôme à 90 % versus nos centres de services scolaires publics au Québec, où on est à hauteur de 75 %.»
André Huberdeau ajoute qu’il faudrait aussi agir en formation professionnelle: «En Ontario, quand vous allez vers des cours techniques pour devenir plombier, électricien, etc., ils continuent eux, à avoir des programmes impliquant de la littératie. Nous, au Québec, on ne le fait pas. On se concentre sur les cours techniques et la littératie est oubliée. Ramener un peu plus de littératie dans nos cours techniques pourrait aider ces gens-là immédiatement et probablement dans le futur.»
La Fondation prône aussi un meilleur maillage entre les ministères, une dénonciation bien connue du travail en silo typique de l’appareil gouvernemental. «On travaille beaucoup avec le ministère de l'Éducation, mais il faut aussi une interface avec, entre autres, le ministère de l'Emploi, le ministère du Travail, avec Industrie et Commerce. Il faut avoir une approche vraiment intégrée de tous ces secteurs, parce que l'individu, lui, ne veut pas savoir si ça va se faire au ministère de l'Emploi, de l'Éducation ou autre. Il veut trouver une solution à son problème», fait valoir M. Huberdeau.
Appel aux entreprises
Parmi ses recommandations, la Fondation demande aux gouvernements de bonifier l’aide aux entreprises pour y encourager la formation. «Les gens qui arrivent en milieu industriel tôt, souvent ça va être des gens qui ont quitté les bancs d'école un peu hâtivement et qui arrivent avec un bagage de littératie fragile ou un niveau 2 sur la fameuse échelle», souligne Pierre Langlois. «Pire encore, dit-il, certains vont perdre tranquillement des compétences en littératie et peuvent glisser au niveau un et ça, ça devient handicapant si on doit les reformer, les requalifier dans la même entreprise.»
La formation en entreprise, ajoute-t-il, permet «d'avoir des gens plus polyvalents avec des compétences solides. Ça permet au gestionnaire de bouger sa main-d'œuvre, de la former vers de nouveaux équipements et, dans une ère de transformation des équipements technologiques dans différents milieux de travail, c'est important d'avoir une main d'œuvre qui est capable de suivre ces transformations.»
Quant aux personnes sans emploi qui ne sont pas qualifiées ou celles qui n’ont pas terminé leurs études secondaires, le premier outil qu’elles doivent accepter de prendre à deux mains est leur propre courage d’aller de l’avant, note André Huberdeau. «Pour les gens qui amorcent les démarches au niveau de la littératie, quand vous avez 35, 40 ans, c’est extrêmement difficile. Pour moi ce sont des héros.»
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Niveaux de littératie selon le PEICA:
0 : connaître le vocabulaire de base;
1 : comprendre des textes courts présentant une seule information;
2 : faire le lien entre le texte et l’information, dans un texte avec deux informations ou plus;
3 : lire des textes denses ou longs nécessitant d’interpréter et de donner du sens aux informations;
4 : évaluer des textes longs et complexes exigeant des connaissances préalables;
5 : Savoir intégrer, évaluer, synthétiser plusieurs textes et leurs subtilités. Nécessite des connaissances préalables spécialisées et la compréhension de la logique et des concepts.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne