Le débat sur les hymnes nationaux dans le sport professionnel est relancé
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Par La Presse Canadienne, 2024
La tradition dure depuis des décennies en Amérique du Nord, mais un professeur canadien de gestion du sport estime qu'il est peut-être temps de réexaminer la légitimité des hymnes nationaux joués avant les matchs.
Le week-end dernier, les amateurs de sport au Canada ont exprimé leur mécontentement face à la menace du président américain Donald Trump d'imposer des droits de douane de 25 % sur les importations canadiennes et mexicaines. Dans les amphithéâtres de hockey et de basketball du pays, ils ont hué l'hymne national américain avant les matchs.
Lundi, Donald Trump a accepté de suspendre les droits de douane pendant un mois. Ce soir-là, les partisans de Nashville, au Tennessee, ont rendu la pareille aux amateurs de sport canadiens avant que les Predators ne perdent 5-2 contre Ottawa.
Mardi, les huées ont continué avant les matchs de la LNH à Vancouver et à Winnipeg ainsi qu'au Scotiabank Arena de Toronto avant le match entre les Raptors et les Knicks de New York.
Le sentiment exprimé par les spectateurs a fait les manchettes un peu partout dans le monde. Et la situation a relancé le débat de longue date sur la place des hymnes dans le sport nord-américain.
«C'est une excellente question, elle est vraiment d'actualité, a déclaré Michael Naraine, professeur associé à l'Université Brock. Il est temps de se demander si nous devons jouer l'hymne national avant un match.»
Alors que la tempête autour de l'hymne couve, elle pourrait à nouveau faire rage le 15 février lorsque le Canada et les États-Unis s'affronteront à Montréal lors de la Confrontation des 4 nations.
Un geste de solidarité envers les troupes
Les deux hymnes sont interprétés avant les matchs depuis des décennies, à l'origine comme un geste de solidarité envers les troupes qui combattaient côte à côte pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais chanter «The Star-Spangled Banner» avant les parties au sud de la frontière remonterait à la fin des années 1800.
M. Naraine a souligné que l'armée américaine avait joué un rôle dans l'hymne interprété avant les événements sportifs américains. «Ce que beaucoup de gens ne réalisent pas, c'est qu'une des raisons pour lesquelles les hymnes nationaux étaient traditionnellement joués, du moins aux États-Unis, c'est parce qu'ils étaient des publicités payées par l'armée américaine, a-t-il noté. Le département américain de la Défense, par l'intermédiaire de ses différentes branches comme l'armée, la marine et autres, avait des contrats avec les principales ligues sportives professionnelles pour jouer l'hymne national, faire le salut militaire, la garde d'honneur et des choses de cette nature.»
Il a ainsi souligné dans l'histoire «l'entrelacement du patriotisme, du complexe militaire et du sport en Amérique du Nord».
Trevor Harrison, sociologue politique à la retraite de l'Université de Lethbridge, pense qu'il sera difficile d'éliminer les hymnes nationaux.
«Tout à fait, a-t-il déclaré. Si vous disiez soudainement : "Bonsoir à tous, nous avons un match ce soir, lançons la rondelle", je pense que beaucoup de gens répondraient : "Attendez une seconde", parce que nous y sommes tellement habitués.
«C'est presque comme une réaction pavlovienne.»
Un moment de calme avant le début du match
Le joueur de ligne offensive Ryan Hunter des Argonauts de Toronto se réjouit d'entendre «Ô Canada» avant les matchs. Après avoir joué au football pendant une longue période aux États-Unis, le natif de North Bay, en Ontario, apprécie la chance d'entendre à nouveau son propre hymne.
Et que ce soit l'hymne canadien ou américain, cela en est venu à être un moment de réflexion et de concentration pour les joueurs, selon Ryan Hunter.
C'est l'avis aussi de l'ancien joueur de la LNH Nick Kypreos, qui a joué pour Washington, Hartford, les Rangers de New York et Toronto de 1986 à 1997.
«La plupart d'entre nous (les athlètes professionnels) sont totalement d'accord avec ça, a affirmé l'athlète originaire de Toronto qui a remporté la Coupe Stanley en 1994 avec les Rangers. Nous écoutons de la musique pendant une heure dans le vestiaire, puis nous éteignons la musique et nous devenons sérieux, tout est concentré et accéléré.
«Ensuite, on arrive sur le banc et on a l'occasion de prendre quelques minutes pour réfléchir. Cela a toujours fait partie de la structure depuis que je me souviens et s'ils le retirent, est-ce qu'ils le font pour les bonnes raisons ?»
Nick Kypreos a toujours aimé entendre les deux hymnes avant les matchs.
«On n'oublie jamais d'où l'on vient, où se trouve la maison, la famille, a-t-il confié. J'ai toujours pensé que deux hymnes étaient la bonne chose à faire. Encore une fois, si c'est une dernière chance de calmer les choses avant que tout ne devienne fou au moment de la mise au jeu, j'ai toujours aimé ça.»
De contre-exemples ailleurs dans le monde sportif
M. Naraine a souligné que, même si d'autres pays jouent également leurs hymnes avant les matchs, ils sont généralement réservés aux séries éliminatoires et aux rencontres internationales ou à celles jouées lors de jours fériés importants.
«En Australie, avec le football australien, chaque équipe a sa propre chanson et elle est jouée lorsque l'équipe entre sur le terrain, a indiqué M. Naraine. C'est la même chose avec le football universitaire américain ou certaines équipes de la NFL.
«Nous n'avons pas cela au hockey, alors nous avons en quelque sorte adopté l'hymne national.»
M. Harrison suggère que la colère du Canada à l'égard de l'hymne a été attisée par les propos de Donald Trump concernant le fait de faire du pays le 51e État des États-Unis.
«Comment exprimer votre fierté et montrer à l’autre partie à quel point vous êtes en colère? Le sport devient le lieu de cette manifestation. Il serait agréable que les individus et les équipes rivalisent à un autre niveau, mais l’imbrication de toutes ces choses rend probablement cela tout à fait impossible», a-t-il noté.
Le sport est politique
Quant à la raison pour laquelle les hymnes sont un sujet si brûlant, les deux universitaires s’accordent : le sport est politique.
«Il est devenu politique parce qu’il est utilisé par divers acteurs à des fins politiques», a déclaré M. Harrison.
«Les politiciens veulent être présents aux événements sportifs, même s’ils ne pourraient pas lancer un ballon de football à 10 mètres… C’est un moyen de montrer leur patriotisme, mais aussi de se connecter avec les partisans, dont beaucoup considèrent le sport comme une sorte d’hyper-attachement à leur identité», a-t-il ajouté.
Les Canadiens sont coupables de ce dernier point, surtout en ce qui concerne la place du pays sur la scène mondiale du hockey. Et à aucun moment l'identité du Canada n'a été plus menacée que lors de la Série du siècle de 1972 contre l'ex-Union soviétique.
«On pense à la série Canada-Russie de 1972 dans le contexte de la guerre froide, a affirmé M. Harrison. Cela revient essentiellement à dire que notre système est meilleur que le vôtre et que nous avons produit de meilleurs athlètes et que les Canadiens sont incroyablement fiers de ce moment, (Paul) Henderson et tout ça.
«Nous pouvons pardonner beaucoup de choses, y compris la fracture horrible de la cheville de (la star soviétique Valeri) Kharlamov (dans le match no 6) par Bobby Clarke, mais c'était comme si c'était la guerre, et c'est ainsi que les gens l'ont perçu. En tant que partisans, beaucoup de ces sports sont tellement attachés à notre sentiment de qui nous sommes, à notre sens de l'identité, qu'il est donc facile pour les politiciens de jouer là-dessus.
«Donald Trump ira au Super Bowl (dimanche) même si je ne pense pas qu'il s'en soucie vraiment. Mais il ira parce que "Mes amis adorent ça".»
Dan Ralph, La Presse Canadienne