La très brève course à la chefferie libérale pose des défis
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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — Alors que le Parti libéral du Canada commence à tracer la voie vers une course accélérée pour remplacer Justin Trudeau, certains anciens conseillers du parti sont divisés sur la rapidité de ce mécanisme — et même sur l'instance qui devrait choisir la prochaine personne à la direction du PLC.
Certains mettent également en garde contre la possibilité que des activistes tentent d'influencer le résultat ou de prendre le contrôle du parti.
M. Trudeau a annoncé lundi qu'il se retirerait dès qu'un nouveau chef serait choisi, jetant la serviette devant le nombre croissant de voix au sein de son propre caucus qui ne pensent plus qu'il est la personne la mieux placée pour les diriger lors de la prochaine campagne électorale.
Les instances du parti doivent se réunir cette semaine pour élaborer les règles de la course à la chefferie, du calendrier jusqu'aux limites des dépenses.
La gouverneure générale, Mary Simon, a accepté lundi de proroger le Parlement jusqu'au 24 mars. M. Trudeau lui-même a admis qu'il prévoyait une série immédiate de votes de confiance en Chambre sur les dépenses gouvernementales, qui doivent avoir lieu avant la fin du mois de mars.
Les chefs des principaux partis d'opposition ont tous déclaré qu'ils feraient tomber le gouvernement à la première occasion. Un nouveau chef ou une nouvelle cheffe pourrait donc avoir très peu de temps pour diriger le parti avant que le gouvernement ne soit défait en Chambre et qu'une élection ne soit déclenchée.
«La situation exige un calendrier plus rapide et je suis sûre que c'est l'une des grandes considérations que la direction du parti prend en compte en ce moment», a déclaré Zita Astravas, vice-présidente de la firme Wellington Advocacy et ancienne conseillère de M. Trudeau.
«J'ai été heureuse de voir le premier ministre et, franchement, le président du parti dire tous les deux qu'ils voulaient qu'une véritable campagne nationale à la direction ait lieu, car je pense que c'est vraiment important pour la base militante et la santé du parti.»
Mme Astravas croit que les prétendants à la chefferie devraient se révéler assez rapidement. «Ils n'ont pas le luxe de pouvoir vraiment tester la température de l'eau pendant des semaines — pour ceux qui n'ont pas encore commencé», a-t-elle estimé. «Les téléphones des libéraux sont très occupés. Ils appellent d'autres libéraux. Soit ils encouragent certaines personnes à se présenter, soit ils sollicitent des appuis.»
Charles Bird, directeur de la firme Earnscliffe Strategies et ancien conseiller de plusieurs ministres libéraux, rappelle qu'une course rapide laisse moins de temps aux militants pour connaître les candidats et candidates.
«Ça se fait en général lors de débats de tous les candidats, dans diverses régions du pays. Ça implique la capacité des candidats de communiquer directement et souvent avec les militants libéraux», souligne M. Bird. «Pouvons-nous organiser une course à la direction complète avec les militants libéraux inscrits d'ici 41 jours? Je pense que c'est une tâche assez difficile.»
Danger de noyautage
M. Bird ajoute toutefois qu'une course à la direction prolongée présente aussi son lot de défis. «L’une des principales préoccupations est que le parti pourrait être la cible d'une prise de contrôle hostile (...) de gens qui ne se soucient pas du Parti libéral, qui pourraient être qualifiés d’activistes, ce qui pourrait avoir un impact réel sur le choix de notre prochain chef», dit-il.
La constitution du parti stipule que toute personne inscrite au Parti libéral du Canada 41 jours avant le vote pour la direction peut déposer son bulletin. Les dispositions n’exigent pas non plus que les membres votants soient citoyens canadiens, mais ils doivent résider régulièrement au Canada.
«Il n’est pas nécessaire d’aller beaucoup plus loin que la politique au Proche-Orient et le genre de manifestations que nous avons vues dans les grands centres urbains pour se demander si un effort concerté de la part de ce genre d’activistes pourrait réellement faire une sérieuse brèche dans le processus», souligne M. Bird.
Quand on lui demande si le parti est en difficulté, il répond que ce serait là un euphémisme. «Je pense que le moment choisi pour la démission du premier ministre pose une foule de problèmes au parti et au successeur de Justin Trudeau», a-t-il estimé.
«Le genre de planification qui prend généralement de nombreux mois, voire des années, devra être condensé dans un délai très, très serré. Rien de tout cela n’est de bon augure, et beaucoup de libéraux regrettent que le premier ministre n’ait pas pris cette décision il y a six mois ou un an.»
Le caucus devrait choisir
Eddie Goldenberg, qui était le chef de cabinet de l’ancien premier ministre Jean Chrétien, a déclaré qu’il aimerait également voir une élection accélérée à la chefferie. Mais plutôt que d’organiser une course nationale, M. Goldenberg croit que cette personne devrait être choisie par le caucus.
Il estime que l’exécutif du parti devrait seulement se demander ce qu’il peut faire pour s’assurer que le nouveau chef ou la nouvelle cheffe soit dans la meilleure position pour remporter les prochaines élections.
«Je crois personnellement que, plus vite ils mettront en place un nouveau premier ministre, meilleures seront les chances de remporter les prochaines élections», a déclaré M. Goldenberg à La Presse Canadienne.
Il croit que le parti devrait trouver une façon de le faire dans sa constitution, plutôt que de rechercher ce qu'il appelle la «pureté constitutionnelle».
«Si le nouveau chef remporte les élections, personne ne dira: 'Ouais, mais (la constitution) n'a pas été respectée à la lettre'. Et s'il perd les élections, personne ne dira: 'Oh, vous avez fait un excellent travail. Vous avez suivi la constitution à la lettre'.
«Ce serait un peu comme si le médecin disait que votre opération a été un succès complet, sauf que le patient est mort. Vous ne voulez donc pas que le patient meure. Faites donc ce que vous pouvez pour vous assurer que le patient survive et qu'il s'épanouisse.»
Nick Murray, La Presse Canadienne