La Romaine: Hydro-Québec a agi de mauvaise foi et failli à l'honneur avec les Innus
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Onze ans après avoir conclu une entente de principe qu’elle n’a jamais respectée avec les Innus de Uashat Mak Mani-Utenam en lien avec le projet de La Romaine, Hydro-Québec est sévèrement blâmée par la Cour supérieure.
Dans une décision rendue la semaine dernière, mais dévoilée ce lundi, le juge Thomas R. Davis de la Cour supérieure condamne Hydro-Québec à verser une compensation de 5 millions $ à la communauté pour avoir «contrevenu à son obligation d'agir en conformité avec les principes de l'honneur de la Couronne» et avoir «fait preuve de mauvaise foi institutionnelle».
Du même souffle, le magistrat annule l’entente de principe de 2014 ainsi que la déclaration de règlement hors cour conclue l’année suivante.
Une compensation de 75 millions $
L’entente de principe, qui prévoyait le versement de plus de 75 millions $ entre 2014 et 2073 en compensation de la destruction du territoire ancestral des Innus par la construction du complexe La Romaine, avait été approuvée par référendum à la suite de consultations.
Cependant, Hydro-Québec ne l’avait jamais présentée pour approbation à son conseil d’administration, invoquant un risque financier lié au fait qu’une poignée de familles dissidentes s’opposaient à l’entente.
Dans une décision très étoffée de 152 pages, le juge Davis estime qu’«en agissant ainsi, Hydro-Québec décide que le référendum, qu’elle a elle-même exigé, n’a aucune pertinence ou une pertinence que très mitigée. La logique d’Hydro-Québec menait à une situation où la dissidence d’une seule personne empêchait la conclusion de l’Entente finale. En agissant ainsi, Hydro-Québec n’a pas respecté la gouvernance de la communauté.»
Hydro-Québec: une attitude «troublante»
Le magistrat va plus loin, écrivant que «nous pouvons avoir l’impression qu’Hydro-Québec était à la recherche de toutes les raisons possibles pour ne pas conclure l’Entente finale, tout en voulant, toutefois, instaurer d’autres projets sur le territoire revendiqué par les Innus de Uashat Mak Mani-Utenam».
Le juge Davis, qui qualifie de «troublante» l’attitude de la société d’État, souligne à grands traits qu’après le succès du référendum, celle-ci «a décidé de ne pas respecter une des obligations fondamentales qu’elle a contractées dans l’entende de principe, soit de soumettre l’Entente de principe au conseil d’administration».
Le gouvernement de la communauté autochtone, Innu Takuaikan Uashat Mak Mani-Utenam (ITUM), dit accueillir «avec soulagement et satisfaction le jugement de la Cour supérieure reconnaissant la mauvaise foi institutionnelle d’Hydro-Québec (…) et donnant raison aux Innus de Uashat Mak Mani-Utenam sur toute la ligne».
«Une grande victoire»
Dans une déclaration par voie de communiqué, le chef Mike McKenzie écrit que «ce jugement est une grande victoire pour nous. Il s’agit d’une reconnaissance de la gouvernance de notre peuple, laquelle doit être respectée par les gouvernements provincial et fédéral ainsi que leurs sociétés d’État. Les gouvernements et leurs sociétés d’État ne peuvent agir dans l’impunité.»
ITUM promet de continuer «à lutter pour qu’aucun développement ne puisse se réaliser sur notre territoire sans notre consentement et notre entière participation».
Acte de contrition
Tout indique qu’il n’y aura pas d’appel alors qu’Hydro-Québec, de son côté, dit accepter la décision de la Cour supérieure. Dans une déclaration écrite envoyée à La Presse Canadienne, Hydro-Québec note que les événements datent de plusieurs années et montre, du même souffle, patte blanche. «Ce dossier illustre l’importance de la nouvelle approche qu’Hydro-Québec a entreprise dans ses relations avec les communautés autochtones. Ce changement cherche à assurer que les projets d’Hydro-Québec sont développés dans le cadre d’une collaboration étroite avec les communautés autochtones et donc créent de réels bénéfices pour ces communautés.»
Fait à noter, tant le gouvernement du Canada que celui du Québec sont absous par le juge Davis, qui explique que c’est Hydro-Québec et Hydro-Québec seule qui a posé les gestes préjudiciables dans ce dossier.
L'honneur de la Couronne était en jeu
Le magistrat rejette du même coup les prétentions de la société d’État à l’effet que les principes d’honneur de la Couronne ne s’appliquaient pas à la cause puisqu’elle agissait à titre de promoteur dans ses interactions avec ITUM, et non en tant que représentante du gouvernement.
Au contraire, dit le juge Davis. «Dans le cadre du développement et de l’exploitation d’un projet hydroélectrique, où Hydro-Québec représente clairement les intérêts de l’État québécois dans la poursuite de sa mission législative, le Tribunal estime qu’elle doit elle-même respecter les principes de l’honneur de la Couronne», écrit-il.
«De permettre à HQ de passer outre cette obligation et de voir le Projet uniquement d’un point de vue commercial, lui permettrait d’en tirer profit, sans que les Innus de UMM bénéficient des accommodements appropriés pour le dommage potentiel causé à leur territoire traditionnel», argue le juge.
«Refus obstiné»
Ainsi, écrit-il, «le refus obstiné d’Hydro-Québec de faire des compromis dans la négociation de l’Entente finale constitue non seulement une atteinte aux exigences de la bonne foi, mais aussi un manquement à l’obligation d’agir conformément à l’honneur de la Couronne. (…) La violation de ses obligations découlant de l’honneur de la Couronne, indépendamment de tout manquement aux exigences de la bonne foi, justifie à elle seule de retenir sa responsabilité».
Alors qu’elle s’était engagée en 2014 à titre d’institution, à veiller aux bonnes relations avec les Innus de Uashat Mak Mani-Utenam, elle a rapidement abandonné cette posture après les lettres des familles dissidentes. «En agissant ainsi, elle a fait défaut de respecter son devoir de loyauté implicite (…) un devoir que le Tribunal considère encore plus important dans le cadre des relations avec une communauté autochtone.»
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne