La diaspora ukrainienne s'inquiète des changements à Ottawa et à Washington
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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — Les chamboulements au sein du Parti libéral du Canada et le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche font que les Canadiens d'origine ukrainienne espèrent que le soutien d'Ottawa à l'Ukraine restera ferme.
«Nous pensons que le Canada est à son meilleur lorsqu'il y a un consensus entre tous les partis sur l'Ukraine», a déclaré Ihor Michalchyshyn, directeur du Congrès des Ukrainien canadiens.
Lors d'une réunion du Groupe de contact sur la défense de l'Ukraine, jeudi en Allemagne, le ministre canadien de la Défense, Bill Blair, a annoncé les détails du financement de 440 millions $ promis plus tôt cette année à l'Ukraine.
Mais même si le Canada et d'autres alliés de l'OTAN prennent des engagements à moyen terme pour la défense de l'Ukraine, certains observateurs s'inquiètent de la pérennité de ce soutien.
Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé lundi qu'il quitterait son poste de chef du Parti libéral une fois son successeur choisi. Cette nouvelle survient quelques semaines seulement après la démission de sa vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, la Canadienne d'origine ukrainienne la plus en vue de la politique fédérale.
M. Trudeau et Mme Freeland ont tous deux fait de la défense de l'Ukraine un élément clé de la position du Canada sur la scène internationale, en particulier après l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie, qui entrera dans sa troisième année le mois prochain.
Le président élu des États-Unis, Donald Trump, entrera en fonction le 20 janvier. Il a à la fois félicité le président russe Vladimir Poutine pour avoir pris le contrôle du territoire ukrainien et critiqué le président ukrainien Volodymyr Zelensky et son pays.
M. Trump a déclaré qu'il apporterait la paix dans la région dès le début de son mandat. Certains analystes suggèrent qu'il a l'intention de faire pression sur l'Ukraine pour qu'elle cède davantage de territoire à la Russie.
Ihor Michalchyshyn a déclaré que son organisme surveillerait la course à la direction du Parti libéral et les élections générales de cette année pour s'assurer que tous les partis continuent de soutenir l'Ukraine.
«Nous serions inquiets si nous voyions des candidats, des dirigeants politiques ou des députés, de n'importe quel parti, s'exprimer contre ce consensus et faire des déclarations contraires et nous pousser dans la direction d'un soutien moindre à l'Ukraine.
«Je ne suis pas terriblement inquiet qu'un candidat à la direction du Parti libéral ou un membre d'un autre parti politique change de tactique.»
Que fera Poilievre?
M. Michalchyshyn estime que Justin Trudeau a laissé un héritage positif dans le plaidoyer de son gouvernement pour l'Ukraine, malgré les retards dans la livraison du matériel promis. Les conservateurs ont poussé le gouvernement à envoyer plus d'armes à l'Ukraine et à soutenir les efforts européens pour sevrer le continent de l'énergie russe.
Mais l'ancien vice-premier ministre progressiste-conservateur de l'Alberta Thomas Lukaszuk a remarqué que le chef conservateur Pierre Poilievre parle rarement de l'Ukraine.
«Je m'inquiète du soutien indéfectible du Canada à l'Ukraine, si (...) Poilievre devenait le prochain premier ministre et que Trump poursuivait ce qu'il a promis de faire», a-t-il déclaré.
M. Lukaszuk souligne que les conservateurs fédéraux ont voté contre les projets de loi de dépenses de routine qui comprenaient des soutiens fédéraux à l'Ukraine.
Les conservateurs ont voté contre un accord de libre-échange avec l'Ukraine en 2023 parce qu'il comprenait une clause sur la tarification du carbone. Cela a incité les libéraux à lancer des publicités accusant les conservateurs de se ranger du côté des républicains américains qui s'opposent au soutien à Kyiv.
Alors que certains députés conservateurs parlent fréquemment de l'Ukraine, Marcin Gabrys, directeur du département d'études canadiennes à l'Université Jagiellonian de Cracovie, a remarqué que M. Poilievre parlait rarement de ce pays. «C'est quelque chose qui m'inquiète.»
Le bureau de M. Poilievre a répondu à une demande de commentaires par une déclaration attribuée au porte-parole du parti en matière d'affaires étrangères, Michael Chong. Dans cette déclaration, M. Chong critique l'approche des libéraux à l'égard de l'Ukraine, mais ne précise pas si M. Poilievre parlait suffisamment de ce pays.
«Les conservateurs de bon sens ont fermement soutenu le peuple ukrainien dans sa lutte contre l’invasion illégale de Poutine et notre soutien indéfectible se poursuit à ce jour», peut-on lire dans la déclaration.
M. Chong a critiqué les libéraux pour avoir autorisé des exemptions dans leur régime de sanctions, comme celle qui a permis à Bombardier d’importer des produits en titane russes.
Fin 2022, à la demande du gouvernement allemand, Ottawa a accordé une exemption de sanctions qui a permis à une entreprise montréalaise de réparer les turbines d’un gazoduc exploité par le géant énergétique public russe Gazprom.
«Nous continuerons de demander des comptes aux libéraux pour leur désinformation flagrante et leurs tentatives pathétiques de distraire et de diviser les Canadiens sur cette question», peut-on lire dans la déclaration de M. Chong.
L'appui des Canadiens faiblit
Les Canadiens d’origine ukrainienne représentent environ 3,5 % de la population du Canada, mais plus de 10 % de la population des trois provinces des Prairies.
L'ex-député albertain Lukaszuk estime que la domination politique des conservateurs dans cette région signifie qu’ils ne sont pas susceptibles de subir de répercussions importantes aux urnes en cad de changements dans le soutien du Canada à l'Ukraine.
L'Institut Angus Reid a publié un sondage au début de l'an dernier suggérant que le soutien global à l'Ukraine avait diminué au Canada. Un Canadien sur quatre déclarait en février 2024 que le Canada «en faisait trop» pour aider l'Ukraine, contre 9 % en mai 2022.
Cette opinion était plus courante chez les électeurs conservateurs, passant de 19 % en mai 2022 à 43 % en février dernier.
Selon le professeur Gabrys, le gouvernement Trudeau peut certes être critiqué pour les retards dans l'aide militaire et pour ne pas avoir atteint l'objectif de dépenses de l'OTAN. Mais il estime que M. Trudeau a aidé l'Ukraine en s'assurant que c'était un sujet de conversation lors de tout sommet mondial auquel il a assisté. «Lorsque les États-Unis changent d'approche, le Canada est nécessaire», a-t-il déclaré.
Garry Keller, vice-président de la firme de lobbying StrategyCorp et qui a été chef de cabinet de l'ancien ministre conservateur des Affaires étrangères John Baird, croit que Pierre Poilievre reste concentré sur les «questions locales et existentielles» qui ont tendance à être des enjeux fondamentaux lors des élections — comme le logement et le coût de la vie — plutôt que sur la politique étrangère.
La situation en Ukraine pourrait changer radicalement avec l'arrivée au pouvoir de M. Trump, ce qui rendrait moins utile pour un politicien canadien de faire des commentaires juste avant une campagne électorale, a déclaré M. Keller.
«Peu importe notre niveau de soutien à l'Ukraine (…) le Canada ne fera pas le poids» face à la posture des États-Unis, a-t-il ajouté.
Dylan Robertson, La Presse Canadienne