La députée Jenica Atwin, qui ne sera pas candidate, déplore la haine en ligne
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Par La Presse Canadienne, 2024
FREDERICTON — La députée fédérale de Fredericton Jenica Atwin quitte la politique pour le «moment», en partie à cause de la haine et de la violence qu’elle subit en ligne.
Mme Atwin a annoncé la semaine dernière qu'elle ne serait pas candidate à l'occasion des prochaines élections fédérales. La députée de Fredericton avait été élue aux Communes pour la première fois en 2019 sous la bannière du Parti vert, avant de traverser le parquet de la Chambre et de rejoindre les libéraux en 2021.
C’est à peu près au moment où elle a rejoint le parti du premier ministre Justin Trudeau qu’elle a décidé de fermer son compte X «parce que cela nuisait réellement» à sa santé mentale.
«Juste le barrage constant, le vitriol, les menaces — et je pense que les femmes, en particulier mes collègues féminines, nous vivons cela à un niveau différent de beaucoup de nos collègues masculins», a-t-elle déclaré dans une récente entrevue.
Mme Atwin se doutait bien qu’en se lançant en politique, elle serait la cible de commentaires négatifs en ligne, mais le niveau de violence qu’elle a subi l’a vraiment surprise. Les messages haineux sur les réseaux sociaux et dans les courriels ont augmenté en 2022, au plus fort de la pandémie de COVID-19, lorsque des milliers de manifestants ont occupé la colline du Parlement pour protester contre les vaccinations obligatoires de camionneurs et d'autres restrictions sanitaires imposées par le gouvernement.
Pendant ces manifestations, le bureau de Mme Atwin a régulièrement reçu des «appels haineux» de personnes au Canada et aux États-Unis. Elle a déclaré que «chaque fois» qu'elle prenait la parole en Chambre, «il y avait un flot de messages haineux et de messages vocaux laissés ou de choses que mon équipe devait passer au crible — parfois, encore, de véritables menaces auxquelles nous devions donner suite auprès de la police».
La haine qu'elle a reçue comprenait des menaces à la bombe, des menaces de violence sexuelle et d'autres agressions verbales.
Une haine et des insultes aussi constantes «érodent» la résilience des gens et ont des conséquences sur la santé mentale, souligne Mme Atwin, ajoutant que ses parents, ses frères et sœurs et son mari étaient ébranlés de voir une telle violence à son sujet en ligne.
Mais elle et ses collègues féminines ne sont pas les seules à être confrontées à une telle toxicité. Elle dit s'inquiéter également de l'effet de la haine sur le premier ministre et sa famille. «Mon Dieu, le premier ministre a fait les frais de tout cela. Je m'inquiète pour ses enfants. Tous ceux qui lui sont associés. Il nous a déjà fait ce commentaire: ces pancartes 'F--- Trudeau' – Trudeau, c'est aussi le nom de famille de ses enfants. Ses enfants l'ont vraiment compris.»
Au Québec, à la suite d'une vague de démissions d'élus, notamment à l'échelle municipale, le gouvernement a présenté l'an dernier une loi qui prévoit des amendes allant jusqu'à 1500 $ pour les personnes qui menacent ou intimident des élus.
Polarisation exacerbée
Chris Tenove, directeur adjoint du centre d'étude des institutions démocratiques de l'Université de la Colombie-Britannique, a déclaré que les discours haineux en ligne ont augmenté au cours de la dernière décennie, influencés par la politique américaine.
«La pandémie de COVID-19 et certains des affrontements politiques et culturels qui l'ont accompagnée ont exacerbé la polarisation de la politique, et cela s'est traduit par une augmentation des agressions en ligne contre les politiciens», a-t-il déclaré.
Bien qu'il n'existe pas de recherche rigoureuse pour savoir si les femmes sont davantage confrontées à la haine en ligne que les hommes, ou si certains partis politiques sont plus ciblés que d'autres, il existe des tendances, a déclaré le professeur Tenove. Les personnes qui sont sous les feux de la rampe, les politiciens, les personnes ayant de nombreux abonnés sur les réseaux sociaux sont toutes plus susceptibles d'être victimes de haine que celles qui sont moins visibles, a-t-il rappelé.
Par contre, les agressions en ligne envers les femmes politiques prennent une «forme genrée», a-t-il souligné. «Soit elles méprisent les femmes en raison de leur sexe, soit, si elles sont plus menaçantes, il est plus probable qu'il s'agisse de menaces sexuelles.»
M. Tenove a déclaré que certains politiciens peuvent gérer des niveaux élevés d'agressions et d'hostilité, tandis que d'autres sont plus sensibles.
«Ils constatent qu’au fil du temps, les messages hostiles et négatifs qu’ils reçoivent continuellement minent leur résilience mentale et émotionnelle et leur intérêt à continuer de servir dans ces fonctions publiques. Cela rend également plus difficile pour les gens de faire leur travail, y compris de décider de se présenter aux élections ou de dialoguer avec leurs électeurs.»
Pour le moment, la députée Atwin dit qu’elle passera plus de temps avec sa famille, en particulier avec ses deux fils, âgés de 7 et 12 ans. Elle espère que la haine en ligne s’estompera et que les gens commenceront à comprendre que les divergences d'opinions doivent être exprimées avec respect.
«Ce n’est pas comme si nous pouvions simplement mettre un algorithme sur ces sites et éliminer tout discours haineux ou violent. Ce n’est pas la solution, n’est-ce pas ? Ce n’est donc pas vraiment clair. Il faut un changement sociétal, dit-elle. Il n’y a pas de véritable solution miracle pour y parvenir.»
Hina Alam, La Presse Canadienne