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La demande d'aide en santé mentale est encore à promouvoir chez les hommes

durée 12h09
16 novembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — La 11e Journée québécoise pour la santé et le bien-être des hommes se déroulera mardi, au moment où les normes de masculinité sont au cœur de l’actualité. Selon des experts, il reste encore du travail à faire pour que les hommes soient davantage portés à demander de l’aide, et la vision traditionnelle de la masculinité a toujours des impacts négatifs sur leur santé mentale.

À l’occasion de cette journée, le Regroupement provincial en santé et bien-être des hommes a lancé la campagne de sensibilisation «Parler, ça fait du bien».

Edmond Michaud, l’un des porte-parole de la campagne ainsi que directeur général d'Hommes Sept-Îles et de la Maison Oxygène Jack Monoloy, une ressource venant en aide aux pères vivant des difficultés, indique que, si des hommes ont déjà développé le réflexe de demander de l’aide, ce n’est pas le cas de tous.

«On l’entend souvent en intervention auprès des hommes : ''Qu’est-ce que ça va changer au juste que je vous parle de mes problèmes? En quoi ça va m’aider à les régler? ''», explique-t-il, en entrevue.

«Dans les milieux de travail qui sont majoritairement masculins, ce qu’on vit par en dedans, ce qu’on a sur le cœur, c’est perçu comme de vraies pertes de temps de parler de ça.»

Pour illustrer l’utilité pour les hommes d’exprimer leur ressenti, M. Michaud aime utiliser l’analogie de «faire le ménage».

«On va imaginer un atelier ou un établi. Puis, si l’atelier est encore rempli d’outils, de matériaux tout éparpillés du dernier projet qu’on a fait, on ne va pas être super à l’aise pour travailler dedans», illustre-t-il.

«Ça, c’est quelque chose que les hommes n’entendent pas super souvent. La machine humaine, la manière qu’on est fait, on a aussi besoin de ranger ce qui traîne en dedans de nous autres. Ce qu’on vit par en dedans, ça peut avoir l’air invisible, mais c’est là, puis ça prend de la place», indique-t-il.

M. Michaud estime que tous les citoyens ont un rôle à jouer dans la santé et le bien-être des hommes qui les entourent, en prêtant l’oreille aux hommes de leur entourage ainsi qu’en créant des espaces favorables à ce que le vécu des hommes et leurs besoins soient entendus.

«Je ne pense pas qu’on va pouvoir changer du jour au lendemain la manière dont les hommes interagissent avec les ressources d’aide et la demande d’aide. Je pense qu’on peut espérer raisonnablement à travailler à les rendre plus confortables avec ça, a-t-il dit. (Ce) n’est pas quelque chose que les hommes apprennent nécessairement en grandissant et en socialisant, c’est même valorisé de ne pas s’exprimer au sujet de ses sentiments.»

Moins de demandes d'aide que les femmes

Philippe Roy, professeur à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke, souligne que le portrait de la situation n'est pas que sombre, même si la demande d'aide auprès de professionnels demeure un enjeu, alors que les hommes demandent toujours moins d'aide que les femmes.

«Les jeunes hommes, au Canada comme au Québec, on a des données qui montrent que ces jeunes hommes-là sont plus ouverts à parler de leurs émotions avec leurs amis, leur entourage, comparé aux générations précédentes. Par contre, les jeunes ont autant de difficulté avec la demande d’aide auprès de professionnels que les hommes des autres générations», explique le professeur.

«Donc c’est encore une un modèle d’homme fort qui va consulter très peu de façon préventive, qui va le faire quand le corps va flancher, quand on est en situation de crise.»

M. Roy souligne que les femmes vont davantage consulter de façon préventive, et que cela est en lien avec l'éducation des garçons et des filles par rapport au système de santé.

«On voit quand on regarde l’évolution des fréquentations des CLSC avec le temps ou dans les cliniques, avant la puberté, les garçons et les filles utilisent les services de santé à peu près pareils, puis autour de 12-14 ans, là il commence à y avoir une séparation. Les filles consultent plus, et les gars beaucoup moins, et les gars on les revoit seulement plus tard, quand ils sont adultes», détaille le professeur.

«Donc, les filles ont des contacts avec la santé qui sont beaucoup plus fréquents, ce qui a pour effet d’augmenter leur littératie en santé.»

Et les mythes de la masculinité traditionnelle dans tout ça?

Dans la dernière semaine, la mouvance en ligne des «mâles alphas» a fait les manchettes. M. Roy souligne que des groupes comme celui-ci, qui font la promotion de la masculinité traditionnelle, peuvent avoir des impacts négatifs sur la santé mentale des hommes.

«C’est un groupe qui a une convergence assez importante de recherches qui démontrent que plus on adhère aux normes de masculinité traditionnelle, donc aux stéréotypes masculins, être fort, être coupé de ses émotions, chercher à être un gagnant à tout prix, chercher à être un séducteur à tout prix, à dominer les femmes même, et plus on est à risque de dépression, de détresse psychologique, puis d’idéation suicidaire, explique le professeur. Et plus on adhère à ce modèle-là, et plus on va entretenir une image négative de la demande d’aide, et on a plus de chance d’éviter de demander de l’aide, ou d’abandonner la demande d’aide de façon précoce.»

«La socialisation masculine fait en sorte qu’on met des standards qui sont inatteignables, ce qui génère de l’insécurité, et cette insécurité-là, il y a des influenceurs qui vont proposer une réponse à cette insécurité, qui est en fait pleine de fausses promesses», ajoute M. Roy.

Edmond Michaud indique que le Regroupement provincial en santé et bien-être des hommes se doit de critiquer ce discours des «mâles alphas» qui invite à soumettre les femmes, ou à les reléguer à des rôles restreints.

«Mais là où on fait attention, c’est de ne pas condamner les personnes qui tiennent ce discours-là. Pourquoi ? Parce que ça pourrait être des hommes qui se présentent un jour dans nos services, il faut être prêts à les accueillir dans nos services», soutient-il.

M. Roy indique que, même si des modèles de masculinité positifs et diversifiés se trouvent dans plusieurs communautés aujourd'hui, «le corridor de genre chez les gars est très étroit», et qu'un travail d'éducation demeure à faire.

Le professeur précise qu'il a été prouvé que «quand un enfant a un comportement qu’on va dire non conforme au genre, il va y avoir plus d’inconfort des parents quand cet enfant-là c’est un garçon. Puis, il y a plus d’inconforts quand le parent c’est un papa».

«Pendant qu’on encourage les filles à sortir des stéréotypes, on n'encourage pas tellement les garçons à en sortir, et c'est dommage», résume-t-il.

Coralie Laplante, La Presse Canadienne