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La Cour du Québec ne peut pas imposer des mesures systémiques en droit de la jeunesse

durée 12h29
20 décembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

La Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec n’a pas le pouvoir d’imposer des mesures systémiques lorsqu’elle se penche sur le cas d’un enfant dont les droits ont été lésés.

La Cour suprême du Canada vient ainsi mettre un point final au débat entourant les limites de la Cour du Québec dans ce genre de dossier et donne ainsi raison à la Directrice de la protection de la jeunesse (DPJ) et au Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS).

Dans une décision unanime rendue vendredi et rédigée par le juge en chef Richard Wagner, le plus haut tribunal confirme les décisions de la Cour supérieure et de la Cour d’appel qui avaient renversé celle émise en juillet 2019 par la juge Mélanie Roy, de la Cour du Québec.

Au départ, le dossier avait été amené devant le Chambre de la jeunesse à la suite du séjour d’une adolescente en centre de réadaptation. L’adolescente et ses parents, qui ne peuvent être identifiés, demandaient au tribunal de déclarer que les droits de l’enfant avaient été lésés par de multiples mesures d’isolement et de contention alors qu’elle était au centre de réadaptation. Dans ce cas-ci, ni le centre de réadaptation, ni la DPJ ni le CISSS ne peuvent être identifiés non plus.

Droits de l'enfant lésés

La demande était basée sur l’article 91 de la Loi sur la protection de la jeunesse qui permet à un juge d’ordonner qu’une situation soit corrigée lorsque les droits d’un enfant ne sont pas respectés. La juge Roy avait donné raison à l’enfant et ses parents et ordonné qu’une série de mesures correctrices soient mises en place.

Toutefois, certaines de ces mesures visaient l’ensemble des centres et leur personnel, notamment l’imposition d’une formation en santé mentale pour les intervenants, éducateurs et agents d’intervention, l’ajout de professionnels en santé mentale dans toutes les unités de traitement, l’adaptation sécuritaire de toutes les salles d’isolement et le recouvrement des murs avec un matériel empêchant les blessures.

Aussi, la juge Roy avait blâmé la DPJ et le CISSS pour avoir recouvert la tête de l’enfant afin de l’empêcher de cracher et avait ordonné au CISSS d’établir un protocole pour déterminer la marche à suivre lorsqu’un enfant crache.

Mesures systémiques contestées

La Directrice de la protection de la jeunesse avait reconnu que les droits de l’enfant avaient été lésés et avait accepté toutes les ordonnances visant l’enfant elle-même, mais avait porté en appel toutes les ordonnances de nature systémique qui visaient l’ensemble de ses installations, arguant que la Cour du Québec avait outrepassé ses pouvoirs. Le juge Yves Poirier lui avait donné raison, statuant le 1er février 2021 que «certaines conclusions de la Décision sont illégales considérant qu’elles ne visent pas à corriger les droits de X qui ont été lésés. La Cour du Québec chambre de la jeunesse ne peut émettre une ordonnance visant l’administration confiée à la Directrice et qui n’est pas en lien direct avec l’enfant dont le développement est compromis.»

Il avait ainsi réécrit les ordonnances pour qu’elles ne s’appliquent qu’à l’adolescente, par exemple que la formation en santé mentale soit donnée aux intervenants qui en avaient charge, qu’un professionnel de la santé mentale soit affecté à l’unité qui l’hébergeait et ainsi de suite. Il avait également précisé que «les conclusions de nature générale et ne visant pas directement l’enfant lésé pouvaient être prononcées à titre de recommandations», plutôt que sous forme d’ordonnances.

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), l’adolescente et ses parents avaient à leur tour contesté cette décision devant la Cour d’appel qui outre certaines modifications dans le libellé des ordonnances de la Cour supérieure, avait maintenu la décision du juge Poirier. «La discrétion des juges de la Cour du Québec est limitée par la preuve présentée devant eux et par la situation factuelle relative à la lésion de l’enfant partie à l’action. Les tribunaux judiciaires ne sont pas des commissions d’enquête. Ces dernières sont mandatées pour enquêter et pour considérer un large éventail de questions d’ordre général. Les procès judiciaires font plutôt un exercice microscopique d’une situation définie, encadrée et même limitée par des règles de pertinence. Il est périlleux de proposer des modifications systémiques basées sur l’expérience et la preuve pertinente concernant un seul enfant», peut-on lire dans le jugement rendu le 12 mai 2022.

L'intention du législateur

La Cour suprême conclut à son tour que le législateur a voulu confier au tribunal les pouvoirs correctifs nécessaires pour assurer la protection la plus complète de l’intérêt et des droits de l’enfant dont le tribunal est saisi de la situation. Selon le juge en chef Wagner, «toute mesure correctrice qui est ordonnée doit protéger l’intérêt et les droits de l’enfant dont le tribunal est saisi de la situation (…) le tribunal peut ordonner toute mesure correctrice à même de contribuer efficacement à prévenir la récurrence de la situation lésionnaire, pourvu que cette mesure soit en lien avec la protection de l’intérêt et des droits de l’enfant».

Le juge Wagner souligne que «rien ne tend à indiquer que le législateur ait voulu habiliter le tribunal à ordonner des mesures correctrices visant des enfants dont il n’est pas saisi des situations, mais qui pourraient se trouver dans la même situation lésionnaire que l’enfant devant lui».

Toutefois, précise-t-il, «cela ne veut pas dire qu’une mesure correctrice ne peut pas avoir pour conséquence indirecte et accessoire de protéger l’intérêt et les droits d’autres enfants qui pourraient se trouver dans la même situation lésionnaire que celle de l’enfant dont le tribunal est saisi de la situation».

Ainsi, le tribunal peut ordonner des mesures correctrices pour enrayer une pratique systémique ou institutionnelle «à condition que l’enfant dont les droits ont été lésés soit à risque de subir à nouveau la situation lésionnaire, que la mesure correctrice soit à même de contribuer efficacement à prévenir la récurrence de la situation lésionnaire et qu’elle soit en lien avec la protection de l’intérêt et des droits de l’enfant dont le tribunal est saisi de la situation».

«Pour qu’une mesure correctrice de nature préventive puisse être ordonnée, il importe que l’enfant dont le tribunal est saisi de la situation soit à risque de subir à nouveau la situation lésionnaire», ajoute-t-il.

Dans tous les cas, rappelle le juge, les mesures correctrices imposées par le tribunal doivent avoir comme finalité de protéger l’intérêt et les droits de l’enfant dont le tribunal est saisi de la situation.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne

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