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La casquette qui en dit long sur la difficulté de fabriquer entièrement au Canada

durée 14h14
24 janvier 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

TORONTO — Les semaines qui se sont écoulées depuis que Liam Mooney et Emma Cochrane ont imaginé une casquette au slogan devenu viral «Le Canada n'est pas à vendre», en réponse au président Donald Trump, leur en ont appris plus sur la situation du secteur de la fabrication au Canada que sur la politique.

Les deux spécialistes du marketing d'Ottawa à l'origine des casquettes portées avec éclat par le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, la semaine dernière affirment avoir réalisé à quel point il est difficile de produire une casquette entièrement fabriquée au Canada.

«Imaginez que vous êtes un serpent et que vous essayez de manger une boule de bowling géante. C'est ce que nous avons vécu ici», a déclaré M. Mooney, cofondateur du cabinet de conseil en affaires Jackpine Dynamic Branding.

Au cours des dernières semaines, le duo a approché plusieurs acteurs du secteur de l'habillement pour l'aider et a généralement entendu le même refrain: ils ne fabriquent pas de casquettes entièrement au Canada parce que le coût est très élevé et que la demande n'est pas là.

Depuis, M. Mooney et Mme Cochrane ont trouvé des chapeaux entièrement fabriqués au pays, mais n'ont pas encore trouvé de solution à long terme. Ils comptent donc principalement sur des casquettes importées du Vietnam, du Bangladesh et de Chine et des tuques des États-Unis, qui sont ensuite brodées au Canada.

Réalité historique

La difficulté de fabriquer des vêtements ou des accessoires entièrement au Canada découle des années de coups durs portés à l'industrie textile du pays, qui a perdu une grande partie de la capacité de fabrication de vêtements qu'elle avait développée au XIXe siècle lorsque les industriels ont migré vers le Canada et ont profité de l'introduction de la machine à coudre.

«Ils ont démarré l'industrie du vêtement au Canada dans les grandes villes, donc Toronto, Montréal, Winnipeg... mais ce qui s'est passé dans les années 1980, c'est que ces industries ont commencé à s'implanter à l'étranger», a rappelé Henry Navarro Delgado, professeur associé de mode à la Toronto Metropolitan University.

Elles ont été attirées loin du Canada en grande partie parce que la main-d'œuvre, les matériaux et les composants des vêtements comme les fermetures à glissière, le fil et les boutons étaient moins chers ailleurs.

«En Chine, un t-shirt, selon sa complexité et s’il comporte ou non un imprimé, pourrait être produit pour aussi peu que 1 $, a noté M. Navarro Delgado. Pouvez-vous imaginer cela? Nous ne pouvons tout simplement pas nous le permettre.»

Le Canada traîne de la patte

Aujourd'hui, les données de l’Organisation mondiale du commerce sur les exportateurs de vêtements montrent que le Canada ne fait même pas partie des 10 premiers, tandis que la Chine et l’Union européenne règnent en maître. Elles sont suivies par le Bangladesh, le Vietnam, la Turquie, l’Inde, la Malaisie, l’Indonésie, Hong Kong et le Pakistan.

Mais si l'on regarde l'autre versant – les importateurs – le Canada se trouve à la sixième place en 2021, derrière l’UE, les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et la Chine.

Une grande partie de la fabrication de vêtements qui reste au Canada est liée aux uniformes militaires ou de pompiers ainsi qu’aux vêtements pour les environnements extrêmes, comme le froid, a indiqué M. Navarro Delgado.

La plupart des composants qu’ils utilisent ne sont pas entièrement fabriqués au Canada.

«Les jeans, par exemple, ont des rivets, des boutons en métal, des fermetures éclair en métal et un fil spécial pour la broderie, a-t-il souligné. Lorsque vous en arrivez à ces vêtements très complexes, il est presque impossible de les produire localement.»

Payer plus cher

Pourtant, Jimil Ataman, professeure adjointe au département d'écologie humaine de l'Université d'Alberta, a fait valoir que de nombreuses petites entreprises persistent, souvent en important des matériaux et des pièces que des couturières canadiennes assemblent.

«Mais tout cela fait grimper le prix final d'une manière qui, je pense, choque franchement la plupart des consommateurs, a-t-elle noté. Nous sommes tous tellement habitués depuis des années et des années à penser qu'une casquette de baseball devrait coûter 15 $ à l'achat, mais le fait est que, si vous vouliez produire cette casquette dans des conditions éthiques, entièrement dans le respect des lois du travail et des normes de la politique canadienne, alors le prix serait beaucoup plus élevé.»

Les casquettes «Le Canada n'est pas à vendre» de M. Mooney et Mme Cochrane ont un prix de 45 à 55 $, tandis que les tuques se vendent à 40 $.

L'idée de la casquette leur est venue le 8 janvier, alors qu'ils regardaient Doug Ford en entrevue à «Jesse Watters Primetime» répondre aux souhaits sur les réseaux sociaux du président américain Donald Trump de voir le Canada être annexé aux États-Unis.

«Emma (Cochrane) et moi nous sommes regardés de l'autre côté du canapé, nous nous sommes levés et avons dit: "Nous devons faire quelque chose à ce sujet. C'est absurde, ce genre de manque de respect"», a relaté M. Mooney.

Le soir même, ils avaient conçu un modèle et réalisé leurs premières ventes.

Les casquettes étaient fabriquées sur commande, donc, chaque fois qu'une demande arrivait, ils honoraient l'achat en faisant broder une casquette.

Les commandes d'environ 50 000 chapeaux ont afflué lorsque Doug Ford a porté l'une des casquettes lors d'une réunion du 15 janvier avec les premiers ministres canadiens. À peu près au même moment, le président de Shopify, Harley Finkelstein, a parlé d'en acheter une sur les réseaux sociaux et les imitations ont commencé à surgir.

M. Mooney et Mme Cochrane savaient qu'ils avaient besoin d'un modèle pouvant être fabriqué en quantités massives, mais une casquette fabriquée au Canada n'était pas facile à trouver – ni même souvent demandée.

«Nous avons entendu de plusieurs fournisseurs que ce n'est pas vraiment quelque chose que les gens leur demandent très, très souvent parce que c'est tout simplement beaucoup moins cher de la fabriquer à l'étranger», a souligné Mme Cochrane.

Alors qu'ils continuent de chercher une solution entièrement fabriquée au Canada, ils brodent des casquettes à Toronto, où ils sont capables d'en produire 1000 par jour.

Même si M. Mooney admet que cela a été une «aventure» pour en arriver là, lui et Mme Cochrane trouvent également réconfortant de voir combien de personnes au Canada se sont mobilisées pour essayer de faire fabriquer leur produit.

«Il y a une solidarité, a déclaré M. Mooney. Quand les choses vont mal, nous rassemblons nos forces.»

Tara Deschamps, La Presse Canadienne