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L'Inde allègue un vaste trafic d'étudiants internationaux via le Canada

durée 18h35
26 décembre 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

OTTAWA — Les autorités indiennes ont indiqué qu'elles enquêtaient sur des liens présumés entre des dizaines d'universités au Canada et deux «entités» de Mumbai accusées d'avoir fait passer illégalement la frontière entre le Canada et les États-Unis à des étudiants.

Une recherche dans plusieurs villes avait révélé des preuves «incriminantes» de «trafic d'êtres humains», est-il expliqué dans un communiqué de presse publié mardi par la Direction de l'application de la loi de l'Inde, une organisation multidisciplinaire qui enquête sur le blanchiment d'argent et les lois sur les changes.

Ces allégations n'ont pas été vérifiées devant un tribunal. Le gouvernement fédéral, la Gendarmerie royale du Canada (GRC), le haut-commissariat indien à Ottawa et plusieurs responsables d'universités canadiennes n'ont pas immédiatement répondu aux demandes pour commenter ces allégations.

L'ambassade des États-Unis a déclaré jeudi qu'elle n'avait aucun commentaire à faire.

Les autorités indiennes affirment avoir lancé leur enquête après que Jagdish Baldevbhai Patel, 39 ans, a été retrouvé mort avec sa femme et ses deux enfants près d'un poste-frontière entre le Manitoba et les États-Unis le 19 janvier 2022.

Le mois dernier, un jury du Minnesota a reconnu deux hommes coupables — Steve Shand de Floride et Harshkumar Patel, un ressortissant indien arrêté à Chicago — de quatre chefs d'accusation liés à l'introduction de personnes non autorisées aux États-Unis, à leur transport et à leur exploitation.

Patel est un nom courant en Inde et la famille n'avait aucun lien de parenté avec l'accusé.

Selon les procureurs, Harshkumar Patel avait coordonné une opération sophistiquée pendant que M. Shand était chauffeur. Ce dernier devait récupérer 11 migrants indiens du côté du Minnesota de la frontière, ont mentionné les procureurs. Seuls sept d'entre eux ont survécu à la traversée à pied. Les autorités canadiennes ont retrouvé la famille Patel plus tard dans la matinée, morte de froid.

Harshkumar Patel et Steve Shand n'ont pas encore été condamnés et pourraient faire appel.

Selon le communiqué de presse de mardi, les autorités ont ouvert une enquête à la suite d'un dossier déposé contre Bhavesh Ashokbhai Patel, qui aurait organisé le voyage de la famille.

Chaque membre de la famille aurait dû payer l'équivalent de 93 000 $ à 102 000 $ pour traverser la frontière entre le Canada et les États-Unis, a affirmé la direction.

L'incident a été appelé l'affaire Dingucha en Inde, du nom du village de l'État du Gujarat, dans l'ouest du pays, d'où la famille est originaire.

La direction de l'application de la loi a fait savoir qu'elle avait fouillé huit endroits la semaine dernière à Mumbai, Nagpur dans l'État du Maharashtra, mais aussi à Gandhinagar et Vadodara dans le Gujarat.

Elle affirme également que Bhavesh Ashokbhai Patel aurait organisé l'admission de personnes dans des universités canadiennes, ce qui aurait aidé à obtenir des visas d'étudiant. Le communiqué de presse ne précise pas les écoles impliquées.

«Une fois que les individus ou les étudiants atteignent le Canada, au lieu de rejoindre l'université, ils traversent illégalement la frontière entre les États-Unis et le Canada et ne rejoignent jamais d'université(s) au Canada», a-t-il été allégué.

Les frais d'admission à l'université ont ensuite été remboursés, a-t-il été ajouté.

Les recherches ont permis de découvrir qu'environ 25 000 étudiants étaient orientés par une «entité» et plus de 10 000 étudiants par une autre vers divers collèges et universités situés hors de l'Inde chaque année, d'après le communiqué.

Le réseau compte environ 1700 agents au Gujarat et environ 3500 dans toute l'Inde, dont 800 sont actifs.

«Environ 112 collèges basés au Canada» ont conclu un accord avec une entité, tandis que «plus de 150» collèges l'ont fait avec une autre entité, est-il avancé dans le communiqué.

Le communiqué ne précise pas si des universités ont des liens avec les deux entités.

Près de trois ans d'enquête

Anil Pratham, ancien haut responsable de la police du Gujarat ayant depuis pris sa retraite, a participé à l'enquête jusqu'à janvier 2022 lors du décès des membres de la famille Patel.

Il a déclaré à La Presse Canadienne que son équipe avait examiné des documents, tels que des certificats et des documents utilisés par les étudiants pour postuler à des collèges et universités à l'étranger.

La police a ensuite contacté les villageois par l'intermédiaire de diverses sociétés, leur demandant de l'aide.

«Nous avons fait comprendre aux villageois qu'ils devaient sortir et nous dire qui sont les victimes et qui sont les agents qui vivent là-bas, a-t-il déclaré lors d'une entrevue depuis le Gujarat. Cela nous a aidés dans notre enquête.»

Le processus a pris près de trois ans, car la première étape consiste à établir le crime, à inculper, à enquêter et à finaliser ces accusations, a-t-il expliqué.

La police du Gujarat a reçu l'aide de ses homologues du Canada et de New York, a soutenu M. Pratham.

Il a aussi donné des conseils à ceux qui souhaitent aller à l'étranger pour étudier ou travailler. «Il existe un moyen légal de se rendre de l'Inde vers le pays de son choix», a-t-il rappelé.

L'enquête indienne survient dans un contexte de tensions avec les États-Unis au sujet de la sécurité des frontières, d'une révision de la politique fédérale sur les étudiants internationaux et de tensions diplomatiques avec l'Inde au sujet du ciblage présumé par New Delhi des militants sikhs au Canada.

Donald Trump a menacé d'imposer des droits de douane sur les produits canadiens si Ottawa ne sévit pas suffisamment contre les migrants et les drogues qui entrent illégalement aux États-Unis, ce qui a conduit Ottawa à consacrer 1,3 milliard $ sur six ans à la sécurité des frontières.

Avant cela, le Canada avait expulsé six diplomates indiens en octobre, en raison d'allégations selon lesquelles ils auraient utilisé leur position pour recueillir des informations sur des Canadiens, puis les auraient transmises à des gangs criminels qui ciblaient directement ces individus.

À l'époque, le Canada avait également allégué que le ministre indien des Affaires intérieures avait ordonné des opérations de collecte de renseignements contre les séparatistes sikhs qui prônent la création d'un pays indépendant appelé Khalistan à partir de l'Inde. New Delhi rejette les allégations d'Ottawa.

Hina Alam et Dylan Robertson, La Presse Canadienne

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