L'incertitude règne au Canada à l'approche de l'échéance tarifaire d'avril


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — L'incertitude règne à l'approche de l'échéance des droits de douane américains la semaine prochaine. Les entreprises sont bloquées dans une situation d'attente qui a entraîné l'arrêt des investissements, des embauches et des prévisions financières pour certaines d'entre elles, dans un contexte de guerre commerciale où les prochaines étapes restent floues.
Le président américain Donald Trump a promis d'imposer des droits de douane drastiques sur les importations en provenance du monde entier, y compris du Canada, à compter de mercredi. Mais de nouveaux détails apparaissent presque quotidiennement de la part d'une Maison-Blanche qui a modifié, retardé ou annulé une grande partie de ses projets de droits de douane au cours des deux derniers mois, notamment après un appel téléphonique vendredi entre Donald Trump et le premier ministre Mark Carney, qualifié de «constructif» par le chef libéral.
«Personne ne sait ce qui se passe, a avancé Goldy Hyder, président et chef de la direction du Conseil canadien des affaires. On se retrouve littéralement dans un environnement où les choses s'improvisent.»
Les États-Unis ont déjà imposé au Canada et au Mexique des droits de douane de 25 % sur l'acier et l'aluminium, ainsi que sur les marchandises non conformes à l'Accord Canada–États-Unis–Mexique. La suspension des droits de douane sur les articles conformes expirera le 2 avril, mais l'étendue et la sévérité de ces droits demeurent incertaines.
Une source haut placée du gouvernement de l'Ontario a déclaré à La Presse Canadienne qu'en date de jeudi, le Canada était sur le point d'être inclus dans un groupe de pays dits «amis» qui bénéficieraient d'un traitement tarifaire plus souple.
Les représentants commerciaux américains ont informé leurs homologues ontariens que Donald Trump avait créé deux autres catégories : l'une pour les droits de douane «moyens» et une troisième simplement appelée «Chine», selon la source, qui n'était pas autorisée à s'exprimer publiquement sur le sujet.
Les détails de ces regroupements restent évasifs. Ce flou ajoute à un climat d'incertitude généralisé, engendré par l'évolution constante des menaces tarifaires, qui a paralysé les investissements et gelé les décisions sur tous les plans, de l'embauche au marketing, dans les entreprises partout au pays.
«Ils ne lancent pas cette nouvelle gamme, ils ne prévoient pas cette nouvelle expansion. Ils annulent la nouvelle marque ou le nouveau produit qu'ils devaient lancer aux États-Unis ou au Canada», a expliqué Matthew Holmes, chef des politiques publiques à la Chambre de commerce du Canada.
«Le battage médiatique constant des droits de douane — ça va être à telle date, non, ça va être à telle date (…) et maintenant, on en impose une surprise cette semaine, juste parce que – est imprévisible et source de stress», a-t-il ajouté.
«Celui de cette semaine» faisait référence à la dernière annonce du président Trump concernant des droits de douane de 25 % sur les véhicules importés. Prenant le Canada au dépourvu, ces droits de douane devraient entrer en vigueur le 3 avril, et ceux sur les pièces automobiles sont prévus pour le 3 mai ou plus tard.
Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, a indiqué jeudi que le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, lui avait dit que le Canada serait soumis à un taux différent, mais que le moment n'était pas encore connu. Les véhicules composés à 50 % de pièces fabriquées aux États-Unis ne seraient pas assujettis à des droits de douane, a déclaré M. M. Ford.
Une paralysie déjà installée
«Il y a un peu plus de deux mois, c'était avant Donald Trump et il y avait une pénurie de main-d'œuvre, a mentionné Dennis Darby, président et directeur général de Manufacturiers et Exportateurs du Canada. Maintenant, plus personne n'embauche. Dans certains cas, on réduit les quarts de travail.»
Depuis début mars, le Canada a imposé des droits de douane de 25 % sur environ 60 milliards $ de marchandises américaines et a menacé d'imposer des droits de douane sur 95 milliards $ supplémentaires si les États-Unis ne reculaient pas.
À court terme, les expéditeurs se sont empressés de devancer les échéances tarifaires changeantes, ce qui a provoqué une forte augmentation du trafic de marchandises transfrontalier. Les volumes de fret ont augmenté de 25 % sur un an en janvier et de 58 % en février, selon la société de données sur le transport Loadlink Technologies.
«Nous l'avons également constaté lors de la première présidence Trump. L'activité avait connu une forte hausse avant l'imposition des droits de douane, puis ceux-ci ont frappé et nous avons plongé dans le chaos», a souligné M. Holmes.
Cependant, de nombreux économistes et la Banque du Canada prédisent une récession si des droits de douane drastiques entrent en vigueur cette année.
La promesse de négociations pour une «nouvelle relation économique et de sécurité», annoncée vendredi par le premier ministre Mark Carney après un entretien téléphonique avec le président Trump, offre un certain espoir de stabilité. Ces discussions, qui débuteront après les élections fédérales, selon M. Carney, pourraient prévenir de nouvelles menaces tarifaires.
Un mal déjà fait
Mais l'épée de Damoclès économique qui pèse sur le continent a déjà porté préjudice aux entreprises, indépendamment du maintien ou de l'entrée en vigueur des droits de douane, a rappelé M. Holmes.
«Le mal est fait par la menace même des droits de douane. Il ne s'agit pas de l'ampleur totale des dégâts ; chaque jour où nous maintenons nos relations commerciales ouvertes est un bon jour, a-t-il affirmé. Mais cela paralyse les décisions d'investissement, augmente les prix, entraîne déjà des pertes d'emplois et des annulations de contrats.»
TFI International, la plus grande entreprise de transport routier du pays, n'a pas été en mesure de fournir de prévisions financières pour l'année en raison de ce que son PDG a qualifié de situation «très floue». La semaine dernière, BRP a suspendu ses prévisions pour 2025 pour la même raison. Le fabricant de Ski-Doo produit la plupart de ses véhicules récréatifs motorisés au Mexique et au Canada, mais tire l'essentiel de ses revenus des États-Unis, où ils sont importés.
La méfiance suscitée par les menaces de Donald Trump et la question de savoir s'il les mettra à exécution ouvre la voie à des turbulences économiques à court terme, a déclaré Preetika Joshi, professeure adjointe à la Faculté de gestion Desautels de l'Université McGill.
«Il a été démontré à maintes reprises qu'on ne peut vraiment pas se fier à ses paroles, a-t-elle avancé. Peut-être que tout ira bien dans quatre ans, mais je pense que le chemin sera semé d'embûches. Il faut simplement attacher nos ceintures et, honnêtement, personne ne sait vraiment ce que les prochaines semaines, voire les prochains mois, nous réservent.»
— Avec des informations de Liam Casey à Toronto
Christopher Reynolds, La Presse Canadienne