L'élection canadienne serait dans la mire d'Elon Musk
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Elon Musk s'est attiré les critiques de plusieurs chefs d'État dans les derniers jours, notamment en Europe, où il est accusé d'ingérence politique. Au Canada, tout indique que l'homme le plus riche du monde compte jouer un rôle dans la prochaine campagne électorale et des chercheurs soulignent que les partis politiques devront désormais en tenir compte.
Mercredi, le complotiste notoire Alex Jones a écrit sur le réseau social X que «les incendies de Los Angeles font partie d’un complot mondialiste plus vaste visant à mener une guerre économique et à désindustrialiser les États-Unis avant de déclencher un effondrement total».
Elon Musk a répondu à cette publication en écrivant «Vrai».
Dans les derniers jours, le propriétaire de X s’en est pris aux politiciens démocrates pour les tenir responsables du désastre en Californie.
Depuis le début de la nouvelle année, l’homme le plus riche du monde n’a pas seulement utilisé sa plateforme pour insulter et dénigrer les élus américains qui ne partagent pas son idéologie, il s’en est également pris à plusieurs chefs d’État.
Le 6 janvier, il a écrit que le premier ministre anglais Keir Starmer «était profondément complice de viols massifs en échange de votes».
Dans les derniers jours, Elon Musk a également traité le chancelier allemand Olaf Scholz «d’imbécile incompétent» et il a insulté à quelques reprises le premier ministre Justin Trudeau et d’autres dirigeants.
Le soutien explicite de M. Musk à des partis très à droite, comme l'Alternative pour l'Allemagne, la désinformation qu’il publie contre les politiciens de centre ou centre gauche, a fait dire, à la fois au premier ministre espagnol Pedro Sánchez et au président français Emmanuel Macron, que l’homme le plus riche du monde tente de créer «une internationale réactionnaire».
«Voilà dix ans, si on nous avait dit que le propriétaire d'un des plus grands réseaux sociaux du monde soutiendrait une nouvelle internationale réactionnaire et interviendrait directement dans les élections, y compris en Allemagne? Qui l'aurait imaginé?», a lancé le président Macron lundi, lors d'une conférence à Paris.
«Il s’en prend aux politiciens à tendance sociale-démocrate, et il a décidé d’attaquer tous les gouvernements qui n’ont pas les mêmes idées que lui», a souligné Aengus Bridgman, chercheur à l’Université McGill et directeur de l’Observatoire de l’écosystème des médias.
Le Canada est dans la mire de Musk
Aengus Bridgman décrit Elon Musk comme un idéologue qui veut imposer sa vision au reste du monde et «qui a une capacité, probablement sans précédent, d’influencer la conversation globale».
Le chercheur a indiqué qu'Elon Musk «semble obsédé par le Canada» et «ces attaques envers Justin Trudeau et ses politiques sont assez constantes».
Par exemple, en réponse à une publication écrite mardi après-midi par Justin Trudeau, dans laquelle il martelait que le Canada ne deviendrait jamais un État américain, M. Musk a fait savoir de manière assez ferme qu'il ne se souciait plus des propos du premier ministre canadien.
«Ma fille ("Girl" dans la publication originale en anglais), tu n'es plus gouverneur du Canada, alors ce que tu dis n'a plus d'importance», a écrit M. Musk dans la nuit de mardi à mercredi.
«Je suis certain qu’il tentera d’influencer les élections au Canada», a ajouté le chercheur Bridgman.
«C’est inquiétant», car «c’est aussi lui qui a le contrôle des algorithmes et des contenus qui sont vus sur sa plateforme et il ne faut pas sous-estimer les effets de ça et, selon moi, c’est clair qu’il va avoir un impact» sur la prochaine campagne.
Musk favoriserait Poilievre
Selon les observations d'Aengus Bridgman, Elon Musk «favorise clairement Pierre Poilievre» en vue des élections qui auront lieu vraisemblablement au printemps.
Dans les derniers jours, le patron de Tesla a partagé une vidéo dans laquelle Pierre Poilievre explique comment il combattra l’inflation. «Parfaitement articulé», a commenté Elon Musk sous la publication.
Il a également qualifié l’entrevue du chef conservateur avec l’influenceur Jordan Peterson «d’excellente».
«Poilievre n’avait pas besoin de cet appui, il est déjà le favori dans les sondages, ces messages résonnent auprès des Canadiens», a commenté le chercheur Bridgman, en ajoutant que si l’appui d’Elon Musk «va trop loin», ça pourrait «devenir problématique» pour le candidat conservateur.
«Elon Musk fera partie d’une administration (américaine) qui parle de l’annexion de notre pays», une idée qui rebute une majorité de Canadiens, a-t-il rappelé.
Une «proximité dangereuse»
Pour l’éthicien en technologie Fatah Lacen, «c'est une formidable prouesse de la part d'Elon Musk d'avoir trouvé un moyen d'exister sur la scène politique et d'avoir une influence aussi considérable».
Selon ce doctorant au Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie, «aucun autre milliardaire n’avait réussi, avant aujourd’hui, à avoir une telle influence aux niveaux national et international».
Les géants de la technologie «jouent un rôle désormais prépondérant dans chaque campagne» et «il faudra désormais considérer ces grandes entreprises et leurs dirigeants, comme Musk, comme une partie prenante importante du jeu et de l'actualité politique», a ajouté l’éthicien en technologie.
Il s’inquiète toutefois des dérives que peut poser «la proximité dangereuse» des géants de la technologie et des décideurs politiques.
Par exemple, il a rappelé que l’entreprise Cambridge Analytica avait utilisé les données personnelles de près de 100 millions d’utilisateurs sur Facebook, récoltées sans autorisation, pour soutenir la campagne électorale présidentielle de Donald Trump en 2016.
Le fait qu’Elon Musk soit à la tête de plusieurs entreprises est également problématique, selon lui, car «son influence politique pourrait lui permettre d’influencer sur la réglementation» de l’intelligence artificielle, par exemple, mais aussi de «l’exploration spatiale ou alors de la réglementation concernant les véhicules électriques», trois secteurs dans lesquels Elon Musk a investi beaucoup d’argent.
«S'il a l'ambition de réunir un nombre particulier d'hommes politiques à travers le monde pour partager une vision commune, et que ces hommes politiques finissent par mettre en place des politiques publiques qui vont aller dans le même sens, alors on peut se demander jusqu’à quel point on peut laisser un dirigeant d’entreprise avoir son mot à dire sur les politiques publiques de différentes nations. C’est quand même un tournant majeur de la politique au niveau international.»
Intelligence artificielle et désinformation
Au-delà des possibles conflits d’intérêts, le développement de l’intelligence artificielle par le conseiller de Donald Trump, notamment dans les projets Colossus AI et Grok, et l’utilisation éventuelle de l’intelligence artificielle lors de campagne électorale préoccupent Fatah Lacen.
«Il faudra surveiller» et éventuellement «sanctionner» l’utilisation des «deepfakes» et de l’intelligence artificielle «qui permet de faire dire des choses compromettantes à un candidat».
Le chercheur Lacen est d'avis que «la désinformation et la manipulation de l’opinion publique en faveur de tel ou tel candidat» risquent d’être «de plus en plus présentes dans les campagnes électorales».
En juillet dernier, pendant la campagne présidentielle américaine, Elon Musk avait partagé une vidéo truquée, générée par l’intelligence artificielle, qui imitait la voix de la vice-présidente Kamala Harris disant des choses compromettantes qu’elle n’avait pas dites.
La vidéo avait été initialement publiée par un animateur de radio conservateur qui avait mentionné qu’il s’agissait d’une «parodie».
Mais cette référence était absente de la publication d’Elon Musk.
Stéphane Blais, La Presse Canadienne