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Janette Bertrand, une centenaire aux cent projets

durée 09h00
22 mars 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — À l'aube de ses cent ans, l'icône de la télévision et militante féministe Janette Bertrand ne veut pas ralentir. Elle s'indigne encore avec autant de verve contre les injustices, sa précieuse mémoire reste infaillible et elle a encore bien des projets en tête.

«Je suis en train d'écrire un autre livre. Et puis j'ai des projets de télévision, a confié en entrevue avec La Presse Canadienne Mme Bertrand, attablée à la cafétéria de Radio-Canada. Moi, je vais continuer à travailler. Je n'ai fait que ça dans ma vie.»

Elle souligne aussi son implication bénévole au sein de la Fondation Institut de gériatrie de Montréal. «Je veux dire à tous ceux qui te lisent qu'ils peuvent me rejoindre», a-t-elle insisté, redirigeant les personnes âgées sur le site de la Fondation, qui leur fournit des outils pour vieillir confortablement.

«Je me suis juré que j'aiderais à mettre cet hôpital sur la "map".»

Mme Bertrand revêt aussi son costume de cuisinière parfois quand son conjoint, devenu le cuisinier principal, et elle veulent un «dessert spécial», parce qu'elle est la «reine des desserts», dit-elle fièrement en éclatant d'un rire généreux. Pour les curieux, l'un de ses préférés est le gâteau argentin – «c'est des meringues à la place de la pâte, c'est extraordinaire, ça c'est la recette dans mon livre», se souvient-elle.

Si la cause des aînés lui tient particulièrement à cœur, elle poursuit aussi son combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes, qui n'est pas encore fini, plaide-t-elle, soulevant l'exemple des mouvements masculinistes qui s'éveillent.

Et elle ne comprend pas pourquoi des jeunes femmes hésitent à se dire féministes encore aujourd'hui. «C'est comme si tu disais: "Je suis pas canadienne-française, pis, t'es née sur la rue Ontario comme moi". On est ce qu'on est. (...) Je suis tannée.»

En parlant de la cause féministe, elle évoque en entrevue le droit de vote des femmes au Québec, en 1940, la Deuxième Guerre mondiale, qui s'est terminée en 1945, et ses débuts en télévision, dans les années 1950, lorsque son mari de l'époque, Jean Lajeunesse, devait cosigner les textes avec elle pour qu'ils soient acceptés. À aucun moment, sa mémoire ne lui fait défaut.

«L'expérience, ça ne s'achète pas, souligne-t-elle. J'ai beaucoup beaucoup vécu de choses et ça me tente encore de le transmettre.»

La politique, très peu pour elle

La femme d'action qu'elle est aurait-elle apprécié pousser son implication plus loin pour sa cause, notamment en politique? «Non, je sais ce dont je suis capable. Je suis incapable de comprendre la langue (...) c'est du chinois pour moi», a-t-elle soutenu.

Elle se renfrogne lorsqu'il est question de sa brève incursion en politique, en 2014, lorsqu'elle avait pris la parole à propos de la Charte des valeurs du gouvernement Marois. Elle s'était dite inquiète que les accommodements religieux fassent reculer la cause des femmes.

«Est-ce que c'est un faux pas que j'ai fait? Moi je crois pas du tout. Mais enfin, je veux pas en parler de ça, ça a été très douloureux pour moi», a-t-elle affirmé, qualifiant cet épisode de «très mauvais souvenir».

«Mais ça m'a fait comprendre une chose: on peut pas tout faire», a-t-elle dit en reprenant son sourire.

L'amour du public

S'il y a une constante dans la vie de Janette Bertrand, c'est bien l'amour que lui voue son public depuis ses débuts. Son dernier livre, Cent ans d'amour, s'est écoulé à plus de 70 000 exemplaires, a-t-elle relaté, visiblement impressionnée.

Par le passé, le fait d'aborder des sujets tabous, notamment dans sa série «Quelle famille» (1969-1974), l'a éloignée d'une certaine élite, selon elle.

«J'avais fait un sketch sur la plus jeune qui devenait menstruée, et on la fêtait, et on en parlait. Ah! Les lettres que j'avais reçues de bêtises: "On parle pas de ça, c'est sale"», s'est-elle souvenue.

«J'étais invitée dans des salons à Outremont et la mère me disait en entrant: "Vous savez ici, on ne regarde pas Quelle famille".»

Mais le public a toujours été de son côté, dit-elle, expliquant sa proximité du fameux courrier du coeur qu'elle a tenu pendant plusieurs années.

«Ceux qui avaient des problèmes de différence, ils m'écrivaient à moi parce qu'ils savaient que je ne juge pas», a-t-elle soutenu.

«Le public sait que jamais je vais porter un jugement sur eux. Je juge pas, moi, j'accueille.»

Un secret: s'adapter

Si elle a un conseil à donner aux personnes âgées, c'est de s'adapter à chaque situation.

«Si tu veux rester jeune, t'es faite, tu vas être déçu, tu vas être tellement dans la peine», a-t-elle affirmé.

Elle dit qu'elle-même éprouve maintenant des problèmes de vision, et qu'elle est en attente pour une greffe dans un oeil.

«Mais, je veux rester en santé, je veux rester pertinente, connaître ce qui se passe et faire ma lutte comme avant», a-t-elle conclu.

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Janette Bertrand sur...

- La chanson «Madame Bertrand», écrite par Mouffe et composée par Robert Charlebois

«Ça sonne à la porte, c'est Robert Charlebois, inconnu, avec Mouffe, qui avait écrit la chanson. Un beau petit couple, ils étaient beaux ensemble, puis polis, bien élevés. Ils me disent: "Si vous aimez pas ça, on la fera pas". (...) Ils chantent la chanson, je suis partie à rire. J'ai dit: "C'est trop drôle". Moi, j'ai pas d'orgueil.»

- La lenteur pour parvenir à l'égalité

«On a échappé des hommes (dans la lutte). Le patriarcat, il y a des avantages à ça, de grands avantages. Et c'est pas tous les hommes qui sont prêts à laisser tomber ces avantages-là.»

- Sur sa capacité à s'indigner encore

«Moi j'ai la rébellion, je suis une rebelle. J'ai ma faculté de me choquer encore, pis de dire: "Faut que ça change". Mais là en ce moment, je m'attaque à une chose: au bien-être des personnes âgées.»

Vicky Fragasso-Marquis, La Presse Canadienne