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Étude: éviter de bâtir dans des zones à risque sauverait des milliards

durée 04h30
6 février 2025
La Presse Canadienne, 2024
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5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Si les règles de zonage ne changent pas, la poursuite de la construction résidentielle en zones inondables et dans les secteurs vulnérables aux feux de forêt au Canada risque de coûter jusqu’à 3 milliards $ de plus par année aux gouvernements et aux assureurs.

C’est l’une des conclusions qui figurent dans un rapport de l’Institut climatique du Canada (ICC) publié jeudi.

Actuellement, l’ICC estime à près de 5 milliards $ par an les coûts liés aux inondations et aux feux de forêt.

Si les règles de construction dans les zones à risque demeurent les mêmes, les pertes pourraient grimper jusqu’à 8 milliards $ annuellement.

Le rapport, intitulé «Des risques à nos portes: construire de nouveaux logements à l’abri des impacts climatiques», se base sur la prémisse que le Canada respectera l’objectif de construire 5,8 millions de logements d’ici 2030, comme le recommande la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) afin de rétablir l’abordabilité du marché pour les Canadiens.

Les modèles utilisés par l’ICC montrent que, sur les 5,8 millions de futures habitations, jusqu’à 540 000 pourraient être construites dans des zones très vulnérables aux inondations et 220 000 dans des secteurs à haut risque de feux de forêt d’ici 2030, si les règles de construction ne changent pas à travers le Canada.

Plusieurs problèmes

Le rapport souligne que, malgré la prise de conscience des risques liés aux changements climatiques, on continue, partout au pays, de construire et vendre des maisons dans des lieux risqués.

Parmi les problèmes qui font en sorte que l'on ignore encore trop les risques, le rapport souligne que les cartes de zones inondables et de feux de forêt sont désuètes et incomplètes.

L’absence de «carte fiable» laisse les promoteurs immobiliers, les propriétaires et les municipalités «dans l’incertitude quant aux risques climatiques».

Le rapport indique également que les programmes d’aide des différents gouvernements pour augmenter l’offre en logements font souvent fi des dangers climatiques et encouragent donc la construction dans des zones à risque.

De plus, selon l’ICC, certains programmes d’aide aux sinistrés contribuent également au problème en incitant les municipalités et les propriétaires à miser «sur le rétablissement après sinistre plutôt que sur l’évitement proactif des risques».

En d’autres mots, on encourage à reconstruire dans des lieux susceptibles d’être inondés ou d’être incendiés.

«Ce type de programme, ça envoie le message au public qu'on peut continuer de construire dans les zones à haut risque et que, si jamais il y a un problème, le gouvernement va nous sauver», a expliqué Ryan Ness, directeur de recherche en mesure d'adaptation à l'Institut climatique du Canada.

«Le logement le plus abordable est celui qui n’a pas à être reconstruit après une catastrophe», a-t-il ajouté, lors d’un breffage technique destiné aux médias mercredi.

Une série de recommandations

Selon les prévisions de l’ICC, sans changements importants à travers le pays, «sur les 20 municipalités canadiennes où les pertes liées aux inondations de nouvelles habitations seront les plus importantes» dans les prochaines années, «18 verront entre 50 % et 100 % de ces pertes provenir de maisons construites dans les zones à plus haut risque».

Construire de nouveaux logements en zones vulnérables serait donc «une erreur incroyablement coûteuse», selon le rapport qui met en évidence «une solution claire».

Il faudrait, selon les auteurs, «déplacer seulement 3 % des nouveaux chantiers vers des zones plus sûres», ce qui «permettrait d’éviter 80 % des pertes financières» anticipées d’ici 2030.

«Il suffirait pour les gouvernements canadiens de rediriger un petit pourcentage des nouvelles constructions en lieu sûr, loin des risques d’inondation et de feu incontrôlé, pour prévenir des milliards de dollars de dommages et protéger la population», a expliqué Ryan Ness.

Ce rapport, selon Rick Smith, président de l'Institut climatique du Canada, est le premier à «illustrer les coûts de l’aménagement résidentiel dans les zones à risque de feu incontrôlé ou d’inondation. Heureusement, il montre aussi qu’il existe des façons de construire les millions de logements tant attendus sans hypothéquer l’avenir. Il appartient maintenant aux décideurs d’agir».

En outre, le rapport recommande de revoir les programmes d’aide aux sinistrés pour décourager la construction risquée, de donner le pouvoir et les moyens aux communautés autochtones de construire des logements résilients aux changements climatiques et de mettre à jour et rendre publiques les cartes des zones vulnérables.

En ce qui concerne la nouvelle cartographie, l'ICC préconise que l'information que les cartes contiennent «soit divulguée dans les transactions immobilières afin que propriétaires, locataires et promoteurs puissent prendre des décisions éclairées».

Les gouvernements devraient également «renforcer les politiques d’utilisation du territoire de manière à éviter la construction en zone à haut risque».

Une tolérance au risque qui varie selon les provinces

Le rapport souligne que la tolérance au risque varie d’une province à l’autre.

Par exemple, le Québec, comme Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse, limite la construction de nouveaux logements que dans les zones à crue de récurrence de 20 ans (zones 0-20 ans).

L’Ontario, de son côté, a moins de tolérance au risque pour la construction en zone inondable, car elle limite la plupart des projets dans les zones d’inondation fluviale à crue de récurrence de 100 ans (zones 0-100 ans).

Selon les auteurs du rapport, il est «urgent pour le gouvernement du Québec et les municipalités d’adopter des politiques d’aménagement du territoire limitant la construction en zones vulnérables».

Dans un communiqué, le président du Comité consultatif sur les changements climatiques du Québec a réagi à la sortie du rapport.

«Continuer de construire des logements comme avant met nos communautés en danger et entraîne des coûts majeurs pour l’ensemble de la population. C’est pourquoi il est urgent d’adopter et de mettre en œuvre des politiques strictes et durables qui dirigent les nouvelles constructions vers des zones sécuritaires», a écrit Alain Webster.

À ce sujet, il est prévu que le Québec adopte un nouveau cadre réglementaire, avec une nouvelle cartographie, dans les prochains mois.

Dans les zones de risques d’inondations «élevés», les nouvelles constructions seraient interdites selon la future réglementation.

Le chercheur Ryan Ness a expliqué à La Presse Canadienne que son équipe a utilisé «des modèles d’inondations et de feux de forêt qui sont utilisés par les grandes compagnies d’assurance».

Plus précisément, les modèles de risques de feux de forêt utilisés dans le rapport «ont été élaborés par la coopérative canadienne de services financiers Co-operators et la modélisation des risques d’inondations a été réalisée par Fathom Global».

Également, l’étude s’est basée sur «les projections de croissance démographique des gouvernements fédéral et des gouvernements provinciaux ainsi que sur les plans de zonage des différentes municipalités et sur les politiques d'aménagement du territoire».

Stéphane Blais, La Presse Canadienne