Des propos de Poilievre sur l'accès à l'eau potable des Premières Nations critiqués
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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a déclaré qu'il inciterait les Premières Nations à soutenir les projets d'exploitation des ressources naturelles par le biais de taxes industrielles. Il a aussi affirmé qu'il réexaminerait l'influence des peuples autochtones et des considérations environnementales sur l'approbation des projets.
Ces propositions ont rapidement suscité des critiques de la part d'experts et de chercheurs.
Lors d'un rassemblement à Ottawa samedi, M. Poilievre a indiqué qu'il encouragerait les dirigeants autochtones à soutenir les projets de ressources naturelles en «laissant les entreprises payer une partie de leurs impôts fédéraux aux Premières Nations locales» — une position qu'il avait annoncée pour la première fois l'année dernière.
Il a ajouté que les Premières Nations pourraient dépenser ces revenus pour «de l'eau potable et un avenir meilleur pour leur peuple».
«Je veux que les Premières Nations du Canada soient les personnes les plus riches du monde», a déclaré M. Poilievre, ajoutant qu'il abrogerait le projet de loi C-69, qui exige que les projets de ressources soient évalués en fonction de leurs impacts environnementaux, sanitaires, sociaux et économiques et qu'ils respectent les droits des peuples autochtones.
M. Poilievre s'est également engagé à approuver les permis fédéraux pour l'exploitation minière du Cercle de feu dans le nord de l'Ontario, un projet controversé auquel s'opposent certaines Premières Nations de la région.
Lorsqu'on leur a demandé si ces politiques pourraient améliorer l'accès à l'eau et favoriser l'autonomisation économique, les experts des Premières Nations se sont montrés sceptiques, tandis qu'un député conservateur qui est le porte-parole de son parti sur les questions autochtones a dit que l'approche actuelle de la réconciliation ne fonctionne pas.
Des idées qui ne sont pas nouvelles
Hayden King, directeur général du groupe de réflexion et de recherche autochtone Yellowhead Institute de l'Université métropolitaine de Toronto, a affirmé que les idées derrière les propositions de M. Poilievre ne sont pas nouvelles.
Il a dit que M. Poilievre «redouble d'efforts» sur les politiques conservatrices qui ont conduit à des tensions entre les peuples autochtones et le gouvernement de l'ancien premier ministre Stephen Harper, qui ont alimenté le mouvement «Idle No More» (Jamais plus l'inaction).
Ce mouvement a rassemblé des militants autochtones de tout le pays pour protester contre la Loi sur l'emploi et la croissance économique du premier ministre Harper — un projet de loi qui, selon eux, réduirait leurs droits tout en donnant aux gouvernements et aux entreprises plus d'autorité pour développer les ressources sans procéder à des évaluations environnementales rigoureuses.
«Les dirigeants conservateurs précédents ont vraiment dit la même chose depuis des générations. M. Poilievre n'a pas vraiment modifié le manuel, mais à d'autres égards, je pense qu'il a vraiment accéléré la philosophie», a expliqué M. King, ajoutant qu'il semble que M. Poilievre «abandonne» des éléments de la Constitution qui nécessitent une consultation avec les peuples autochtones.
«Soit il ne connaît pas les exigences constitutionnelles, soit il s'en moque. Et bien sûr, dans le deuxième cas, il se retrouvera devant les tribunaux», a-t-il indiqué.
Dawn Martin-Hill, chercheuse sur l'eau des Premières Nations chez Ohneganos dans la communauté des Six Nations, en Ontario, et à l'Université McMaster, a déclaré que les commentaires de M. Poilievre suivent la «doctrine» du président américain Donald Trump, qui promet aux communautés qu'elles seront riches si elles autorisent les développements d'oléoducs auxquels elles se sont opposées dans le passé.
«La plupart des dirigeants autochtones verraient clair dans [les propos de M. Poilievre], car nous avons déjà fait le tour de la question à plusieurs reprises», a affirmé Mme Martin-Hill.
«Vendre son âme pour avoir ce que les autres Canadiens ont, c'est-à-dire l'accès à l'eau potable du robinet, est très problématique.»
Des conservateurs soutiennent les propos de Poilievre
Dans une déclaration publiée mercredi, le député conservateur Jamie Schmale a déclaré que son parti estime que l'approche «Ottawa sait mieux que quiconque» sur les questions autochtones ne fonctionne pas.
«De plus, un gouvernement conservateur de M. Poilievre renversera les politiques radicales libérales désastreuses et inconstitutionnelles de Carney-Trudeau qui ont tué des projets de ressources et bloqué la prospérité des communautés des Premières Nations qui étaient des partenaires prêts et consentants», a dit M. Schmale, porte-parole du parti pour les relations Couronne-Autochtones et les services aux Autochtones.
«Nous avons des milliers de milliards de dollars de richesses en ressources sous nos pieds et, dans de nombreux cas, elles appartiennent aux peuples et aux communautés des Premières Nations. Nous approuverons rapidement les usines de GNL, les oléoducs et les mines, et en nous associant aux Premières Nations pour développer nos ressources de classe mondiale, nous rapporterons de gros chèques de paie tout en faisant des Premières Nations les plus riches de la planète.»
Billy Morin, ancien chef de la nation crie d'Enoch, qui se présente comme candidat conservateur aux prochaines élections, a exprimé son soutien en ligne aux propos de M. Poilievre lundi, affirmant que le Canada «a besoin de nouveaux engagements de leadership pour libérer notre potentiel de ressources».
En faisant référence aux propos de M. Poilievre sur l'eau, M. King a déclaré qu'il semble qu'un gouvernement conservateur sous M. Poilievre se déchargerait de ses obligations envers les peuples autochtones sur l'industrie.
Des communautés toujours sans eau potable
Les libéraux ont promis de mettre fin à tous les avis à long terme sur la qualité de l'eau potable d'ici mars 2021. Alors que 147 ont été levés depuis 2015, 33 sont toujours en vigueur dans 31 communautés.
Les conservateurs ont souvent critiqué les libéraux pour ne pas avoir tenu cette promesse. L'année dernière, le gouvernement libéral a présenté le projet de loi C-61, qui reconnaît que les Premières Nations ont un droit inhérent à l'eau potable et engage le gouvernement à fournir un financement adéquat et durable pour les services d'eau des Premières Nations.
Début décembre, le député libéral Jaime Battiste, qui est Mi’kmaq, a demandé le consentement unanime des députés pour envoyer le projet de loi au Sénat. Plusieurs députés conservateurs ont dit non. Le leader parlementaire conservateur Andrew Scheer a ensuite déposé une motion similaire accusant également le gouvernement libéral d’inaction.
Cette motion a également été rejetée, ce qui signifie que le projet de loi n’a pas été transmis au Sénat. Le Parlement étant prorogé, le projet de loi C-61 reste dans les limbes.
Une porte-parole de la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, a qualifié les remarques de M. Poilievre sur les Premières Nations et l’eau de «pas surprenantes».
«Il dit que les communautés ne méritent de l’eau potable que si elles laissent les sociétés privées exploiter leurs terres et leurs ressources», a affirmé Hannah Weiler dans un communiqué de presse.
«Pierre veut revenir à l’époque où le gouvernement ignorait les communautés et ignorait leur potentiel. C’est mauvais pour tout le monde.»
M. Schmale a affirmé que son parti était «déterminé à améliorer l’accès à l’eau potable» en permettant aux communautés de dépenser de l’argent pour ce qu’elles jugent important.
Alessia Passafiume, La Presse Canadienne