Des chaînes de restauration rapide étrangères plus présentes dans le paysage canadien
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Par La Presse Canadienne, 2024
TORONTO — Des chaînes de restauration rapide des États-Unis, mais aussi d'ailleurs dans le monde, sont de plus en plus nombreuses à tenter de s'implanter sur le marché canadien, mais ce n'est pas aussi simple qu'elles l'espèrent.
La concurrence a pesé sur l'implantation de Jersey Mike au Canada dès le début. La chaîne américaine de sandwichs a révélé ses ambitions canadiennes il y a un peu plus d'un an, le même jour que son rival Jimmy John's. Et lorsque Jersey Mike's a ouvert son premier magasin à Toronto, la marque américaine de restauration rapide Shake Shack s'était déjà installée quelques portes plus loin.
Ken Otto, directeur général de la société franchisée Redberry Restaurants, qui a implanté Jersey Mike's au Canada, attribue l'arrivée simultanée de ses concurrents à une coïncidence et affirme que cela «ne nous a pas coupé l'herbe sous le pied».
«Il y a beaucoup de place pour de nombreux acteurs au Canada», a-t-il expliqué dans une entrevue.
Cette théorie est sur le point d'être mise à l'épreuve, alors que plusieurs entreprises américaines et quelques-unes d'ailleurs, dont la marque chinoise de hamburgers croustillants Bingz et la chaîne de café japonaise % Arabica, se développent sur le marché canadien.
Jersey Mike's a promis d'ouvrir 300 restaurants canadiens d'ici 2034, tandis que Jimmy John's en ajoutera 27 d'ici la fin de 2026. Shake Shack en a 35 en route d'ici 2035, date à laquelle le restaurant italien américain Fazoli's espère que 25 d'entre eux seront opérationnels.
Miser sur l'attrait de la nouveauté
Les experts en marketing alimentaire affirment que l'intérêt des États-Unis pour le Canada provient probablement de leur proximité et de leurs goûts similaires, mais rien de tout cela n'aura d'importance si les marques — nouvelles et anciennes — ne parviennent pas à s'en sortir face à la concurrence et à ravir les convives.
«Si nous avons 20 nouveaux restaurants qui ouvrent, cela ne signifie pas que (les clients) peuvent manger 20 fois plus ou dépenser 20 fois plus en nourriture», a souligné David Pullara, professeur de marketing à l'Université York, qui a travaillé pour Starbucks et Yum Brands, opérateur de KFC.
«Nous n'avons qu'un budget limité à consacrer à la restauration rapide et à la nourriture en général, et je pense donc que c'est un jeu à somme nulle», a-t-il ajouté.
Pour gagner à ce jeu, les nouveaux venus qui s'implantent ici doivent non seulement faire savoir lorsqu'ils entrent dans un pays, mais aussi offrir la même expérience que celle que les clients ont vécue lors de leur visite aux États-Unis ou ailleurs, a-t-il déclaré.
Cela signifie s'assurer que les éléments vedettes du menu traversent la frontière, que les prix ne sont pas excessivement élevés, que les emplacements sont faciles à trouver et que les Canadiens savent que l'entreprise est présente.
Les marques qui se dirigent vers le nord n'ont qu'à regarder la chaîne de cafés Dunkin', basée dans le Massachusetts, pour voir que cela peut mal se passer. Alors que l'entreprise comptait autrefois des centaines d'emplacements au Canada, elle s'est retirée en 2018, après que des franchisés québécois ont poursuivi avec succès l'entreprise pour ne pas avoir suffisamment fait la promotion de la marque.
Redberry Restaurants, qui gère plus de 220 établissements Burger King et 32 magasins Taco Bell, est convaincu que Jersey Mike's n'aura pas de mal à percer en raison de son souci du détail.
La chaîne garnit les sandwichs de «jus» — un mélange d'huile d'olive, de vinaigre et d'assaisonnements — et tranche la viande et le fromage sur place à la commande.
Certains employés passent trois mois aux États-Unis pour apprendre l'art de la préparation de sandwichs, qui comprend des leçons sur la façon d'emballer une commande sans que les ingrédients ne débordent et de trancher la viande à la bonne épaisseur.
«C'est une grande partie de notre succès», a déclaré M. Otto.
Si les clients veulent de la fraîcheur dans leurs commandes, M. Pullara soutient que la plupart ne veulent pas payer plus cher ou attendre plus longtemps à cause de cela.
Lorsque les chaînes entrent pour la première fois sur un marché, les files d'attente ont tendance à être plus longues, car les gens se ruent pour être parmi les premiers à goûter au restaurant.
Le jour de l'ouverture du premier Jersey Mike's à Toronto, une file d'attente serpentait à travers le magasin, même pendant les heures en dehors de l'heure de pointe du dîner.
Le Shake Shack voisin, qui abrite l'un des rares bars à cocktails de la chaîne mondiale, était si plein qu'il n'y avait plus de places disponibles.
Rester sur ses gardes
Les piliers canadiens doivent rester sur leurs gardes et surveiller ces développements autant que leurs propres entreprises, a avancé M. Pullara.
«Ils ne peuvent pas laisser tomber leurs normes opérationnelles. Ils ne peuvent pas laisser la qualité de leurs produits en souffrir. Ils doivent simplement constamment faire de leur mieux, a-t-il précisé. Parce que s'ils ne le font pas, cela ouvre la porte à l'insatisfaction de quelqu'un et lui donne une raison d'envisager une alternative un jour.»
Une fois que quelqu'un essaie une nouvelle marque, il commence à comparer si elle lui plaît mieux que sa chaîne de restauration rapide habituelle, selon le professeur de marketing. Si c'est le cas, la chaîne en place peut avoir perdu un client pour toujours.
Cela devient encore plus dangereux lorsque ce scénario se répète sans cesse.
«Si vous avez suffisamment de ces acteurs, vous allez voir plus de consolidation, a mentionné Jo-Ann McArthur, présidente de Nourish Food Marketing, une agence de publicité basée à Toronto. C'est ce qui se passe généralement.»
Dans la lutte pour les parts de marché, elle s'attend à ce que les nouvelles et les anciennes chaînes mettent fortement en avant les programmes de fidélité, les menus économiques, les offres à durée limitée et les éléments de menu exclusifs au Canada.
Les entreprises en place pourront s'appuyer sur le fait qu'elles sont ancrées dans la routine quotidienne de nombreux Canadiens et qu'elles disposent de vastes réseaux de restaurants dotés d'une solide chaîne d'approvisionnement canadienne.
Étant donné que les nouvelles marques ont tendance à avoir un nombre de magasins plus restreint, elles ne construisent pas toujours une chaîne d'approvisionnement canadienne complète. Au lieu de cela, elles expédient souvent des produits des États-Unis, a affirmé Mme McArthur.
Jersey Mike's s'approvisionne en ingrédients partout en Amérique du Nord, a fait savoir M. Otto.
Un autre avantage dont disposent les marques locales est qu'elles peuvent utiliser le sentiment d'«achat canadien» qui émerge du conflit commercial entre le Canada et les États-Unis pour inciter les clients à visiter leur établissement, d'après Mme McArthur.
David Pullara n'est toutefois pas si sûr que cela fera beaucoup pour faire pencher la balance dans la bataille de la restauration rapide.
«Si on fait des courses et que l'on dit : "C'est l'heure du dîner. J'ai faim", je ne sais pas combien de personnes pensent en premier lieu : "Trouvons un endroit où manger au Canada", a-t-il déclaré. Je ne pense pas que quiconque pense : "Ne mangeons pas dans des chaînes américaines".»
Tara Deschamps, La Presse Canadienne