Des casinos virtuels sont utilisés pour blanchir les profits du trafic de fentanyl
Temps de lecture :
4 minutes
Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — L'unité du renseignement financier du Canada soupçonne que des plateformes de jeu en ligne sont utilisées pour blanchir les profits du trafic et de la production de fentanyl.
Dans une alerte opérationnelle, le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada indique qu'il y a des raisons de croire que des personnes déposent et retirent des fonds dans des casinos en ligne pour dissimuler les profits du trafic de fentanyl et d'autres opioïdes sous forme de paris et de gains.
L'alerte, publiée récemment, précise que des trafiquants connus de fentanyl ont fréquemment envoyé de l'argent à des sites de jeu en ligne et reçu des fonds en retour de processeurs de paiement associés au Canada, à Malte et au Royaume-Uni.
Le centre fédéral, connu sous l'acronyme CANAFE, identifie l'argent lié au blanchiment et au terrorisme en passant au crible chaque année des millions de données provenant de banques, de compagnies d'assurance, de courtiers en valeurs mobilières, d'entreprises de services monétaires et de casinos, entre autres.
L'agence divulgue ensuite les renseignements obtenus à ses partenaires, notamment l'agence d'espionnage du Canada, la Gendarmerie royale du Canada et d'autres corps de police.
Le crime organisé impliqué
L’alerte opérationnelle met en évidence de nombreux signes révélateurs pour aider les entreprises à détecter et à signaler les transactions suspectes qui pourraient être liées au fentanyl, un produit hautement addictif qui a provoqué une crise alarmante de surdoses au Canada.
Pour préparer l’alerte, le CANAFE a analysé un échantillon d’environ 5000 rapports de transactions suspectes liées au fentanyl et aux opioïdes synthétiques déposés entre 2020 et 2023.
La plupart des rapports concernaient la distribution présumée d’opioïdes synthétiques au Canada.
Les rapports de transactions ont également révélé des importations présumées de produits chimiques précurseurs, d’ingrédients essentiels et d’équipements en provenance de Chine – et dans une moindre mesure d’Inde – pour la production d’opioïdes synthétiques, indique l’alerte du CANAFE.
L’agence de renseignement a également examiné les données de ses homologues étrangers, les évaluations d’autres partenaires et les informations de sources ouvertes pour aider à identifier les tendances.
L’alerte souligne que l’approvisionnement illégal de fentanyl et d’autres opioïdes synthétiques en Amérique du Nord est alimenté par l’implication croissante de groupes du crime organisé connus pour utiliser des services financiers douteux dans les recoins les plus sombres d’Internet.
«Ces groupes importent ou détournent des précurseurs chimiques essentiels et du matériel de laboratoire de Chine et d’autres pays asiatiques pour la production d’opioïdes synthétiques illégaux», peut-on lire dans l’alerte.
«Ces acteurs malveillants utilisent également les marchés de l’Internet clandestin et les monnaies virtuelles pour distribuer et faciliter les paiements pour le fentanyl et d’autres opioïdes synthétiques illégaux à l’échelle internationale, entre autres méthodes traditionnelles.»
Stratagème
Selon le CANAFE, dans un cas, une personne a reçu quelques centaines de virements d’argent par courrier électronique de grande valeur provenant d’un processeur de paiement étroitement lié aux jeux d’argent en ligne.
Ces processeurs envoient des virements d’argent par courrier électronique au nom de personnes qui déposent et retirent des fonds des casinos en ligne. Les transactions apparaissent comme un virement électronique du processeur plutôt que comme un virement de la plateforme de jeu en ligne, ce qui les rend plus légitimes aux yeux des banques ou d’autres institutions financières.
Les transactions en question étaient toujours considérées comme suspectes en raison de la tendance du client à traiter avec des personnes liées au trafic de fentanyl, explique l’alerte.
L’alerte rappelle qu’avant 2020, l’Amérique du Nord était principalement un continent de consommation et de destination pour les opioïdes du marché illicite, en particulier le fentanyl, mais avance que ce constat a changé.
«Le fentanyl était importé directement et en grande partie de Chine par des consommateurs et des revendeurs, généralement via des marchés de l’Internet clandestin. Ces dernières années, les réseaux de trafiquants ont augmenté la production de fentanyl et d’autres opioïdes synthétiques ainsi que leur distribution à l’échelle nationale et internationale depuis l’Amérique du Nord, notamment le Canada, les États-Unis et le Mexique.»
Ce passage du statut de consommateur vers celui de producteur devrait également se produire chez d’autres marchés internationaux, tels que l’Europe, l’Australasie et l’Amérique du Sud, ajoute le CANAFE.
L’agence de renseignement affirme que les transactions potentiellement liées à la production d’opioïdes impliquaient des virements électroniques à des personnes dans des juridictions à haut risque pour l’achat et le détournement de précurseurs et de produits chimiques essentiels.
Ces endroits comprenaient la Chine – en particulier les provinces du Hebei et du Hubei – l’Europe de l’Est et l’Inde. «Les virements électroniques vers ces juridictions étaient souvent acheminés par des juridictions intermédiaires comme Singapour, la Corée du Sud et Hong Kong pour éviter d’être détectés», fait savoir le CANAFE.
Plaques tournantes
Les réseaux de distribution sont généralement concentrés dans les grandes villes qui servent de plaques tournantes pour la production de fentanyl et l'importation de précurseurs, de produits chimiques essentiels et de fentanyl fini, indique l'alerte.
Les entreprises de transport, de transitaire et de logistique qui réalisent une grande partie de leurs activités en espèces utilisent potentiellement l'industrie du camionnage de marchandises au Canada pour transporter des opioïdes synthétiques illicites, prévient-elle.
Les transactions aux points de vente et aux guichets automatiques bancaires démontrent que les opioïdes se déplacent principalement vers l'intérieur des terres à partir des centres de distribution de Vancouver.
De Vancouver, les produits sont distribués à Calgary ou à Edmonton, puis en Saskatchewan, témoigne le CANAFE.
«D'autres réseaux de distribution, comme ceux qui proviennent de l'Ontario, voient le flux d'opioïdes de Toronto se rendre vers les régions environnantes, comme London et Hamilton, avant d'être transporté vers Thunder Bay et Winnipeg.»
D'importantes exportations de fentanyl proviennent probablement de la partie continentale de la Colombie-Britannique et de la région du Grand Toronto, ajoute l'alerte. «Les exportations quittent souvent ces juridictions par voie maritime, par fret aérien et par transport terrestre de passagers.»
Jim Bronskill, La Presse Canadienne