Cuisine québécoise: une gastronomie qui ne cesse d'évoluer, selon une experte
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Poutine, tourtière ou encore tarte au sucre: de nombreux mets québécois traditionnels peuvent nous venir en tête lorsqu'on évoque la cuisine québécoise. Pourtant, cette gastronomie n'est pas si simple à définir et n'a cessé d'évoluer depuis les années 1960, au gré des enjeux politiques et sociaux, selon une experte.
Originaire de Suisse, Gwenaëlle Reyt, spécialiste des cultures alimentaires et des études culturelles de l’alimentation, est arrivée au Québec il y a une vingtaine d'années et comptait bien découvrir rapidement les spécialités culinaires de la province.
Elle a alors interrogé les locaux pour savoir quels sont les mets incontournables du Québec et dans quels restaurants elle pourrait découvrir cette cuisine.
«Souvent, ce qu’on me disait, c'est que ce n’est pas des plats que l’on peut manger facilement au restaurant. C’est souvent une cuisine qui va se préparer dans le cadre familial, lors de fêtes ou pendant la période du temps des sucres», a expliqué celle qui est aussi directrice des Lauriers de la gastronomie québécoise.
Mme Reyt a donc décidé de se pencher sur la question pour savoir si le restaurant québécois existe et ce qu'il est possible d'y manger. Pour ce faire, elle a examiné des guides de voyage, de restaurants et des articles de presse des années 1960 à 2017 afin de comprendre comment les établissements sont classifiés.
«Des fois, il y a des choses qui sont nommées québécoises qui le sont peut-être par un ouvrage ou deux. Des fois, il y a un restaurant qui va être identifié comme français dans une source et québécois dans une autre, a-t-elle constaté. On voit le caractère un peu subjectif de ces classifications.»
La cuisine était au départ qualifiée de «canadienne-française» et a évolué pour devenir progressivement «québécoise» dès les années 1980, lors de la Révolution tranquille. Ainsi, si l'on a toujours parlé de la tourtière, de cipaille et de tarte au sucre, ce registre s'est enrichi au fur et à mesure en voyant arriver les fèves au lard, le pâté chinois ou encore la tradition des casse-croûte prendre place dans la définition de cette gastronomie.
«Pour parler de ces identités alimentaires québécoises, ce dont on se rend compte, c’est que cela évolue dans le temps et aussi en fonction d’enjeux politiques ou sociaux», a souligné la spécialiste.
Plat désormais incontournable de la cuisine québécoise, la poutine a émergé dans les années 1990. C'est notamment le restaurant Au Pied de Cochon et son chef Martin Picard qui ont donné ses lettres de noblesse à la poutine en inventant une version avec du foie gras.
Dans les années 2000, des restaurants contemporains ont commencé à se revendiquer de cuisine québécoise, mais en décidant plutôt de mettre en avant des produits d'ici que des plats traditionnels.
«On voit que l’identité ne s’incarne pas forcément dans des restaurants haut de gamme, mais plus dans des pratiques populaires, des pratiques du quotidien, dans des choses que la population peut s’approprier et peut se reconnaître», a résumé Mme Reyt.
Et dans le contexte politique actuel, avec la menace de tarifs douaniers en provenance des États-Unis et le sentiment patriotique qui s'en est suivi au Canada, il ne serait pas étonnant de voir de nouvelles évolutions de la gastronomie locale.
«L’affirmation d’une identité, qu’elle passe par une identité nationale ou plus culturelle à travers sa culture culinaire, c’est sûr que c’est assez favorable dans des contextes d’adversité où, tout d’un coup, on se sent menacé par l’autre», a reconnu la spécialiste.
Audrey Sanikopoulos, La Presse Canadienne