Nous joindre
X
Rechercher
Publicité

Comment les enfants vivent la relation polyamoureuse de leurs parents

durée 09h00
27 octobre 2024
La Presse Canadienne, 2024
durée

Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Les enfants dont les parents vivent une relation polyamoureuse ont de meilleurs liens affectifs avec ce ou ces partenaires que ce que l’on aurait cru, dit une nouvelle étude. L’impact des différents partenaires aurait même plutôt tendance à être positif, d'après ce qu’ont pu révéler des entrevues menées auprès de 18 enfants entre 5 et 16 ans.

Grandir dans un contexte polyamoureux, tel était l’objet de l’étude menée par Milaine Alarie, de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), et son équipe. Il est ressorti de ces entrevues que les enfants considéraient les partenaires de leurs parents comme des personnes participant à leurs loisirs, contribuant à leur bien-être matériel, prenant soin d’eux ou encore leur permettant d’élargir leur cercle d’amis avec leurs propres enfants.

Car le contexte polyamoureux s’apparente en de nombreux points à une famille recomposée. «Les études sur les familles recomposées montrent que les enfants qui grandissent dans ce genre de famille là vont pouvoir développer des relations satisfaisantes avec le beau-parent lorsqu'il y a coopération avec les parents et qu'il est permis à l'enfant de ressentir de l'affection envers le beau-parent sans que cela nuise à la relation avec les parents», explique Mme Alarie.

De la même manière, continue la chercheuse, dans un contexte de polyamour, si l'enfant est encouragé par ses deux parents légaux à se permettre de développer de l’affection pour l'un des partenaires, il va se sentir à l'aise de le faire et n’aura pas le sentiment d’être en train de trahir ses parents en le faisant.

Les enfants déjà préadolescents ou adolescents reconnaissaient d'ailleurs que les partenaires contribuaient positivement à la vie de leurs parents, même s’ils avaient tendance à tisser moins de liens personnels avec les partenaires et n’éprouvaient pas de sentiments négatifs vis-à-vis d’eux.

Polyquoi?

Pour bien mettre les choses au clair, il convient de rappeler en quoi consiste exactement le polyamour, loin de tout fantasme sulfureux mal renseigné. À commencer par le fait que ce choix de vie est moins marginal que ce qu’on imagine, car «environ une personne sur cinq au Canada a déjà été dans une relation ouverte ou une relation polyamoureuse au cours de sa vie», pointe Mme Alarie. À plus forte raison chez les jeunes adultes.

D’ailleurs, elle tient à remettre les pendules à l’heure: se tourner vers le polyamour ne veut pas dire qu’un couple battait de l’aile, ce n’est pas non plus un fétiche sexuel et les polyamoureux ne changent pas de partenaire comme de chemise.

Le terme polyamour désigne un mode relationnel de non-monogamie dans lequel tous les partenaires sont informés et consentants. Concrètement, explique la chercheuse, cela signifie que les partenaires «vont se permettre de façon transparente et mutuellement consentie de développer des relations amoureuses au-delà du couple à deux personnes traditionnel, donc toutes les personnes sont au courant des autres relations que le ou la partenaire peut avoir». Et Mme Alarie insiste bien sur le fait que tout cela se passe «dans la transparence et le respect».

Voilà pour les bases, somme toute assez simples. C’est sur le fonctionnement que la chose se complexifie, car, sans aller jusqu’à dire qu'il y a autant de versions du polyamour que de couples polyamoureux, le polyamour se décline tout de même sous diverses formes. On va rencontrer le modèle en V, soit, par exemple, une femme qui a une amoureuse et un amoureux, mais ces deux derniers ne sont pas en couple ensemble. Il peut y avoir aussi la triade fermée, dans laquelle trois personnes sont en couple ensemble, mais n'ont pas de relation amoureuse à l'extérieur de leur triade. On peut aussi voir des modèles moins cadrés, où les partenaires peuvent avoir différentes relations amoureuses.

C’est donc en toute logique qu’il en découle plusieurs modes de fonctionnement familial. Il y a les familles où les enfants vivent avec leurs deux parents légaux sous le même toit et où les partenaires vivent ailleurs. On trouve aussi des familles où les parents légaux sont séparés et où les enfants vivent avec un de leurs parents et ses partenaires. Et il y a aussi les cas où tout le monde vit sous le même toit.

Le dernier cas de figure cité amène d’ailleurs un autre aspect intéressant par rapport aux enfants: celui de la pluriparentalité. La chercheuse rappelle que, selon l’adage, «ça prend tout un village pour élever un enfant». Une façon imagée pour elle d’expliquer que les différents partenaires peuvent contribuer de façon positive au développement de l’enfant et que l’effet déstabilisant du polyamour sur eux est finalement une idée préconçue.

«Quand on parle aux enfants qui grandissent dans les familles polyamoureuses, détaille Mme Alarie, on se rend compte qu'ils sont très bien dans leur situation familiale et, qu'en fait, ils ont développé une relation de qualité avec les partenaires amoureux de leurs parents. (...) Ils témoignent généralement d'une grande appréciation des partenaires amoureux de leurs parents.»

Elle ajoute que tous les enfants de tous les groupes d'âge qu'elle a interrogés ont témoigné qu’ils voyaient les partenaires amoureux de leurs parents comme des personnes qui prenaient soin d'eux sur le plan émotionnel et sur qui ils pouvaient compter en cas de besoin.

Il y a néanmoins un bémol dans ce réjouissant portrait familial non conventionnel. L’étude de l’INRS se base uniquement sur des témoignages d’enfants dont les parents n’étaient pas polyamoureux dès leur naissance. «Ils ont connu un avant et un après», résume la chercheuse, et cela peut influencer la place que donnent ces enfants aux partenaires de leurs parents.

Certains enfants, vivant sous le même toit que les partenaires de leurs parents, utilisaient des concepts comme «mon beau-père», «ma belle-mère», et précisaient ensuite qu’il ne s’agissait pas vraiment de leur beau-père ou de leur belle-mère. Il ressort donc un manque de vocabulaire pour expliquer le type de famille dans laquelle ils vivent. Mais surtout, aucun des enfants interrogés n’a grandi depuis sa naissance avec plus de deux parents. Or, ces enfants auraient sûrement des réponses différentes à donner en entrevue, signale Milaine Alarie.

«Un des facteurs qu'on a remarqué qui va influencer la façon dont les enfants vont penser la famille et la place que les partenaires amoureux vont occuper dans leur univers familial, c'est depuis combien de temps les partenaires amoureux de leurs parents sont dans leur vie et habitent avec eux», rapporte la chercheuse.

Mais un autre élément fait que les enfants interrogés n’ont pas employé le terme «papa» ou «maman» au sujet des partenaires de leurs parents. Malgré un modèle polyamoureux où tous les partenaires vivent ensemble, la biparentalité reste le modèle dominant.

La biparentalité, modèle dominant

Mme Alarie rapporte que certains parents que son équipe et elle ont rencontrés leur ont expliqué que, malgré un mode relationnel polyamoureux, au moment de faire des enfants, ils ont préféré revenir au modèle biparental dans le foyer, les partenaires devenant des «satellites autour de la maisonnée».

Une étude menée quelques années plus tôt par la professeure Alarie, auprès des parents cette fois, a révélé que certains parents étaient en relation monogame lorsqu’ils ont fait des enfants et sont devenus polyamoureux ensuite, tandis que d’autres fonctionnaient sur la base d’une relation polyamoureuse avec un partenaire primaire et un ou plusieurs partenaires secondaires, la biparentalité était donc une suite logique.

D’autres encore étaient polyamoureux au moment d'avoir des enfants, mais, influencés par les référents culturels existants, ne s'imaginaient pas fonder une famille à plus de deux parents.

Enfin, le dernier cas de figure rencontré était celui de partenaires polyamoureux de longue date et très investis dans la relation qui, lorsque l’une d’eux est tombée enceinte, ont choisi d’élever l’enfant à plusieurs – de la pluriparentalité pure et dure — mais avec seulement deux des partenaires qui peuvent être reconnus légalement comme parents de l’enfant. La chercheuse glisse avec un sourire qu’elle a pu rencontrer lors de cette étude précédente un couple de trois qui était dans cette situation et est toujours ensemble aujourd’hui, alors que «la petite cocotte» a maintenant 15 ans.

Il s’agit là d’un point sensible pour Mme Alarie, et plus encore pour les parents concernés, car le troisième parent n’a aucun droit légal, ce qui engendre certaines craintes, explique-t-elle. «Malheureusement, cela affecte certaines des familles polyamoureuses qui ont élevé leurs enfants à plus de deux parents, parce qu’il y a une absence de reconnaissance légale de la pluriparenté au Québec.»

Caroline Chatelard, La Presse Canadienne