Aucun signe donné de l'examen des condamnations injustifiées de deux hommes au N.-B.
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Par La Presse Canadienne, 2024
FREDERICTON — Plus d’un an après que le chef de la police de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, a ouvert une enquête sur la conduite de ses agents dans le cas de deux hommes condamnés à tort pour meurtre, il n’y a toujours aucun signe du rapport promis.
Le chef Robert Bruce avait ordonné en janvier 2024 un «examen complet» de l’enquête qui a conduit Robert Mailman et Walter Gillespie à purger de longues peines de prison pour un meurtre qui a eu lieu en 1983 qu’ils n’ont pas commis.
L’examen avait été annoncé huit jours après que la juge en chef de la Cour du Banc du Roi du Nouveau-Brunswick, Tracey DeWare, avait exonéré les hommes et déclaré qu’ils avaient été victimes d’une erreur judiciaire. Plus tôt, le ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, avait ordonné un nouveau procès en citant des preuves qui remettaient en question «l’équité globale» de la poursuite.
Le chef Bruce avait mentionné avoir chargé Allen Farrah, un officier supérieur retraité de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), de «mener un examen indépendant axé uniquement sur l’enquête» réalisée par la police de Saint-Jean. M. Farrah est propriétaire et seul employé de la société de conseil en enquête Clear-Path Solutions, Inc., établie à Hanwell, au Nouveau-Brunswick.
«Étant donné les circonstances et par sens du devoir et de la responsabilité, je vais procéder à un examen complet de l’implication de la police de Saint-Jean dans cette affaire», avait soutenu le chef Bruce à l’époque.
Un an plus tard, la police ne dit cependant pas quand l’examen sera terminé. Son porte-parole, le sergent d’état-major Matt Weir, a souligné la semaine dernière qu’il n’avait aucune date pour la publication des conclusions. Joint par courriel, M. Farrah a déclaré qu’il ne ferait aucun commentaire sur l’enquête Mailman-Gillespie et a renvoyé les questions vers la police de Saint-Jean.
Beaucoup d'interrogations
En décembre, la première ministre libérale nouvellement élue, Susan Holt, s’est demandé ce qu’il était advenu de l’enquête de la police de Saint-Jean.
«Où est le rapport ? Est-il complet ? Quelles ont été leurs conclusions ?, a-t-elle demandé. Parce que l’expérience (de M. Gillespie et de M. Mailman) après avoir été condamnés à tort, et pendant aussi longtemps, vraiment, serait dévastatrice. Nous ne voulons pas que quelqu’un d’autre ait à vivre cela. Nous devons donc tirer des leçons des erreurs que nous avons commises.»
Innocence Canada, qui a mené la bataille judiciaire pour exonérer les deux hommes, a présenté un mémoire écrit au tribunal en janvier dernier, alléguant que les condamnations étaient le résultat d’une «vision étroite de la police, de la non-divulgation de preuves importantes, des rétractations des deux principaux témoins de la Couronne», ainsi que d’un mépris des solides alibis des hommes.
Le document judiciaire indiquait que la police de Saint-Jean avait donné un total de 1800 $ — en plus des frais d’hôtel et de relogement — à un adolescent de 16 ans qui avait témoigné en 1984 qu’il avait été témoin du meurtre de George Leeman à Saint-Jean. Les paiements n’ont pas été divulgués pendant le procès. Le témoin, John Loeman fils, s'est rétracté plus tard auprès de son propre avocat et d'un journaliste dans deux lettres ainsi qu'auprès d'un avocat du ministère fédéral de la Justice qui enquêtait sur le cas de M. Mailman et M. Gillespie en 1998.
«Cette affaire est une honte», avait déclaré James Lockyer, directeur fondateur d'Innocence Canada, aux journalistes à l'extérieur du palais de justice l'année dernière après l'acquittement des deux hommes. «C'était simplement un cas où la fin justifie les moyens du point de vue de la police.»
En février, MM. Mailman et Gillespie avaient conclu un accord non divulgué avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick. Moins de deux mois plus tard, M. Gillespie est décédé à l'âge de 80 ans.
Le ministère de la Justice et de la Sécurité publique du Nouveau-Brunswick a fait savoir la semaine dernière que le gouvernement ne ferait pas d'autres commentaires sur l'affaire. «La province et M. Mailman et M. Gillespie sont parvenus à une résolution et à un règlement à l'amiable l'année dernière», a déclaré le porte-parole Allan Dearing dans un courriel. Il a renvoyé les questions sur l'examen à la police et au conseil civil qui supervise la police.
Dans une entrevue lundi, M. Lockyer a mentionné qu'il était inhabituel pour les services de police d'examiner leur propre conduite en embauchant un ancien policier. Une enquête sur une condamnation injustifiée est généralement menée par le biais d'une enquête publique ou par le gouvernement, a-t-il dit, et non par le service de police présumé fautif.
«(Innocence Canada) n'a pas beaucoup confiance dans le processus, c'est le moins qu'on puisse dire», a-t-il ajouté.
M. Mailman pense que lui et M. Gillespie ont été ciblés par des poursuites parce que les deux amis avaient déjà eu des ennuis avec la justice et que la police voulait simplement qu'ils ne soient plus en liberté. «Si la chaussure ne leur va pas, alors ils l'étireront et l'ajusteront», avait-il déclaré dans une entrevue le mois dernier.
Il a déploré le peu de temps qu'il leur a fallu pour être arrêtés et condamnés par rapport à leur combat de plusieurs décennies pour prouver leur innocence et retrouver leur liberté. M. Mailman a passé 18 ans en prison et M. Gillespie 21 ans.
Robert Mailman, qui a 76 ans et qui est atteint d'un cancer du foie en phase terminale, pense qu'il mourra sans avoir vu les résultats de l'enquête ni reçu d'excuses de la part de la police.
«Ils ne peuvent pas, et ils ne le feront pas, car s'ils le font, ils devront admettre qu'ils ont eu tort. Et ils devront admettre qu'ils le savaient depuis le début. Ils ne veulent pas faire ça», a-t-il soutenu.
«Mais s'ils ne sont pas tenus responsables et que la vérité n'est pas révélée, alors la prochaine erreur judiciaire est imminente. Cela va se reproduire», a-t-il affirmé.
Hina Alam, La Presse Canadienne